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HOMMAGE A BOUTROS BOUTROS GHALI

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[|HOMMAGE A BOUTROS BOUTROS GHALI

Hommage rendu dans le cadre de l’Académie des Sciences d’Outre-Mer le 7 octobre 2016|]

Boutros Ghali, est né en 1846, il est le premier copte à se voir attribuer le rang de Pacha ; on l’appellera parfois Boutros Ghali Pacha. En 1908, il deviendra l’unique Premier Ministre copte qu’ait connu l’Egypte ; il cumulera cette fonction avec celle de Ministre des Affaires étrangères. Il sera assassiné en 1910.

Il est le grand-père de Boutros Boutros Ghali.

Enfant, on emmène Boutros dans une église modeste, la Boutrossia, élevée par la famille Boutros Ghali à la mémoire de ce grand père. A l’issue des messes dominicales, on le conduit le long de la fresque qui décrit sa grand-mère faisant don de l’église à Saint Pierre et Saint Paul ; il descend dans la crypte où se trouve le tombeau de son grand-père et lit l’inscription qui est gravée en arabe et en français : « Dieu m’est témoin que j’ai toujours agi pour le bien de mon pays » .

La maison familiale, « le château » comme on le disait en français n’est pas loin. A cette époque près de trente journaux et périodiques sont publiés en Egypte en langue française, une vingtaine en anglais.

La dernière fois que je l’ai rencontré, il y a quelques années – c’était lors d’un déjeuner offert en son honneur par l’Ambassadeur d’Espagne en France – Boutros Boutros Ghali me dit qu’il se souvenait combien, durant son enfance, cette langue française, que sa famille et ses amis parlaient couramment, incarnait pour lui, en quelque sorte, la certitude diffuse que le monde était plus grand qu’il ne le savait.

Dans son enfance, Boutros rend aussi visite à son oncle, frère de son père, Wassef. Proche du Premier ministre d’alors, Wassef a été membre de la délégation qu’il a conduite à Paris pour tenter de forcer les portes de la conférence de la paix et faire valoir les droits de l’Egypte, et il a publié, en 1921, un manifeste appelant au boycottage des produits anglais. C’est en prison que Boutros lui rend visite.

C’est dans cette famille qui compte bien d’autres intellectuels, écrivains, ministres (dont un autre ministre des Affaires étrangères), législateurs, diplomates que naît Boutros en novembre 1922.

Après une licence en droit à l’Université du Caire, il obtient à Paris le diplôme de Sciences Po et passe un doctorat en droit ; il se révèle un très fin juriste. Revenu à l’Université du Caire en 1949, il devient professeur de droit international et de relations internationales ; il le restera jusqu’en 1977. Il sera président de la société égyptienne de droit international, directeur du Centre de recherche de l’Académie de droit international de La Haye, membre de l’Institut de droit international, membre de la Commission du droit international des Nations Unies. Il sera aussi correspondant de l’Académie des Sciences morales et politiques.

Il publie beaucoup ; son œuvre est considérable. Il n’aime rien plus qu’écrire à sa table de travail et ceci, il l’a fait, – je le sais par un ami commun qui, au Caire, ne manquait pas de lui rendre visite chaque semaine – jusqu’à ses derniers jours. Même dans les pires moments de la vie harassante qu’il a menée, il a su se retirer pour écrire. C’était pour lui indispensable.

Nous le connaissons comme homme d’action, homme d’un dynamisme et d’une énergie sans faille ; Il est un homme de réflexion, un homme d’idées qui a su transformer sa pensée en action.

A partir de 1977, il est ministre d’Etat aux Affaires étrangères et en 1991 vice-Premier ministre chargé des Affaires étrangères. Il contribue au rétablissement de l’Egypte dans ses droits et dans ses frontières modifiées après la défaite militaire de 1967. Avec son homologue israélien Moshe Dayan, il est l’un des principaux négociateurs des accords égypto-israéliens de Camp David, en 1978, puis du traité de paix qui sera signé par Anouar el-Sadate et Menahem Begin en 1979. Il est un négociateur tenace. Il veut absolument persuader son pays de son rôle au triple croisement des cercles méditerranéen, africain et arabe.

A la fin de l’année 1991, il devient le sixième Secrétaire général des Nations Unies, le premier africain à occuper cette fonction qu’il exercera de 1992 à 1996.

Sa nomination par l’Assemblée générale coïncide avec la fin de la guerre froide, l’effondrement de l’empire soviétique et la multiplication des conflits régionaux. Le monde se transforme.

Il a pris ses fonctions le 1er janvier et déjà le 30 janvier 1992 il réussit un sommet du conseil de sécurité, la réunion de cet organe au niveau des chefs d’Etat ou de gouvernement ; c’est une première dans l’histoire des Nations Unies.

Il promeut une « diplomatie préventive » pour éteindre les incendies naissants, un concept au cœur de son célèbre « Agenda pour la paix » publié cette année-là.

Devant l’ampleur des tragédies, le monde se tourne vers l’O.N.U. .Les missions se multiplient, mobilisant jusqu’à 70 000 casques bleus ; on les trouve au Cambodge, au Salvador, en Somalie, en Bosnie-Herzégovine, au Sahara occidental.

A partir d’une analyse de la Charte, il a réfléchi à de nouvelles missions pour les Nations Unies : l’Agenda pour la paix, déjà mentionné, l’ Agenda pour le développement, l’Agenda pour la démocratie.

Il encourage la réunion de ces grandes conférences où les Etats s’emploient à organiser leurs rapports, à mettre en œuvre de nouvelles idées sur la famille, la population, l’habitat, le développement social, l’environnement, les droits de l’homme.

Que de thèmes qui nous sont aujourd’hui familiers qui sont nés de ses initiatives, ou de sa réflexion : développement durable, bioéthique, par exemple, qui se sont introduits dans les débats par l’effet d’un rapport du Secrétaire général, d’un discours d’ouverture ou de clôture d’une conférence !

Il fait œuvre quasi législative : la première pierre posée de la justice pénale internationale en 1993 (le traité fondateur de la Cour, le Statut de Rome, est adopté en 1998) ou l’émergence, dès cette même année, du concept, couronné, en 2005, de la responsabilité des Etats de protéger, où qu’elles soient, les populations menacées.

Les Nations Unies, la communauté internationale, ont vite compris qui était Boutros Ghali. On sait qu’il ne sera pas qu’un administrateur, retranché au 38ème étage. Alors on lui demande beaucoup. Il est sommé d’inventer des solutions, de soumettre des plans, de les exécuter, de ramener la paix.

Ceci n’est pas fait pour lui déplaire, il est prêt à déplacer des montagnes. Il parcourt la planète, il est sur tous les fronts et il est pourtant aussi un administrateur ; il remet de l’ordre dans la maison de verre, resserre les boulons de la machinerie onusienne.

Que de réussites, certes quelquefois imparfaites, au Cambodge, au Salvador, au Guatemala, en Haïti, au Mozambique, en Namibie, en Afrique du sud !

Que de trêves maintenues, à Chypre, au Tchad, au Liban, au Sahara occidental !

Des échecs ou des règlements trop tardifs aussi, en Bosnie, en Somalie, au Rwanda.

Il bouscule tellement que, évidemment, cela gêne certains et notamment les Américains – l’Administration Clinton – qui n’apprécient guère son indépendance.

En vertu des dispositions de l’article 97 de la Charte, le Secrétaire général est nommé par l’Assemblée générale sur recommandation du Conseil de sécurité. Il est rééligible. Il pourrait donc prétendre à un second mandat, comme ses prédécesseurs ;14 des 15 membres du Conseil de sécurité le veulent. Un seul s’y oppose, les Etats-Unis, qui disposent d’un droit de veto. Et ils utilisent cette arme ultime. Il doit quitter ses fonctions.

Ce renvoi n’est pas celui d’un Secrétaire général qui a échoué mais celui d’un homme qui a eu le courage et l’audace de faire front, de dire ce qu’il pensait et qui a conservé toujours sa dignité.

Heureusement, la Francophonie est en train de se restructurer ; elle a besoin de placer à sa tête un homme qui ait une grande stature. Il vient à point nommé. Il a quitté son poste aux Nations Unies le 31 décembre 1996, il prend ses fonctions de Secrétaire général de l’Organisation internationale de la Francophonie, l’O.I.F, le 1er janvier 1998.

Il va agir en pionnier. Il structure l’O.I.F et l’ouvre ; il fait de la Francophonie une réalité bien visible. La Francophonie, dit-il, est une « idée subversive » et elle doit le rester.

Il s’emploie à souder l’espace politique francophone ; il voit la communauté francophone comme « un véritable ensemble géopolitique ». Il insiste sur les valeurs qu’elle véhicule.

Il veut renforcer le français en tant que langue internationale. « Ne nous trompons pas de combat ! Nous dit-il. Et n’ayons pas une attitude frileuse ou défensive » . Un message qui nous concerne tous !

Il ne manque jamais d’humour. Ici même, à l’Académie, lorsque, membre associé, il est reçu le 3 avril 1998, il a lu un passage d’une lettre qui disait ceci : «  Excellence, notre mode de parler partout recule. Même nos meilleurs diplomates utilisent l’autre langue. Et il nous faut agir pour que, dans nos congrès, soit assurée la précellence du français ». La lettre datait de 1591 et l’autre langue dont il était question était, évidemment, l’Italien.

D’une nébuleuse d’agences de coopération, d’universités et de jumelages, le Secrétaire général de la Francophonie arrive à bâtir une organisation qu’il veut ouverte sur les autres.
Il voit que la mondialisation aplatit tout, écrase les différences et qu’une seule langue, une seule culture, un seule mode de penser risquent de prévaloir. Il tente de réagir en menant le combat du multilinguisme, de la diversité culturelle et donne toute sa place à la société civile.

« Le combat pour la Francophonie, c’est d’abord un combat pour la diversité et pour le plurilinguisme. A travers le renforcement de la langue française, nous voulons défendre la diversité des langues et des cultures. C’est pourquoi je compte ouvrir la Francophonie aux non francophones, aux autres communautés linguistiques » dit-il. Et il le fait, avec le monde hispanophone, le monde lusophone, le monde arabophone et même avec le monde anglophone. Aujourd’hui l’O.I.F rassemble 80 Etats et gouvernements. Le combat pour la Francophonie est un combat pour le pluralisme, un combat pour la démocratisation de la vie internationale.

Par ailleurs, il plaide pour un accueil plus important d’étudiants du Sud par les pays du Nord car, pour lui, le combat pour la Francophonie ne sera gagné que si le français est ressenti par les jeunes générations comme une langue internationalement utile.

A peine est-il libéré de sa charge, à la fin de l’année 2002, qu’il est appelé à présider le Conseil égyptien des Droits de l’Homme. Cela fait alors un peu sourire car on croit la mission impossible. A la conférence de Vienne de 1993, souvenons-nous, il a réussi à faire confirmer, par la totalité des Etats membres des Nations Unies, la « valeur universelle » de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948. Il se sert de ce texte pour confronter à chacun de ses articles, les comportements délinquants du gouvernement égyptien. Il agira en juriste pointilleux.

Notre confrère est décédé dans sa ville natale le 16 février 2016. Ses obsèques se sont déroulées en présence du Président de la République égyptienne, du grand imam d’Al Azhar et du pape copte Tawadros II. La cérémonie a commencé dans l’enceinte d’une mosquée et s’est poursuivie dans la cathédrale copte-orthodoxe.

Boutros Boutros Ghali a été le digne petit-fils de Boutros Ghali Pacha, fidèle aux siens, fidèle à son pays et fidèle à la langue française qu’il chérissait tant.

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