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Jean-François Mattei : Hommage à Albert Camus

par Communication & Media

Homme de lettres, journaliste, écrivain et philosophe, Albert Camus est né le 7 novembre 1913. A l’occasion du centenaire de sa naissance, le Pr Jean-François Mattei, un des administrateurs de La Renaissance Française, rend un bel hommage au prix Nobel de littérature.

L’itinéraire d’Albert Camus était rigoureusement tracé dès ses premières tentatives littéraires. Lors de la remise du prix Nobel de littérature, à Stockholm en 1957, Camus indiquera à son auditoire qu’il avait eu très tôt « un plan précis » pour la composition de son œuvre.

Une première note, dans ses Carnets en 1947, mentionnait en effet un plan en cinq parties : l’Absurde, la Révolte, le Jugement, l’Amour déchiré, la Création corrigée ou le Système, et mentionnait déjà le projet du Premier homme, l’ouvrage posthume où il dévoile le secret de son existence.

Une seconde note des Carnets, trois ans plus tard, concentrait les cinq parties en trois cycles : « I. Le Mythe de Sisyphe (absurde). – II. Le Mythe de Prométhée (révolte). – III. Le Mythe de Némésis ».

Ils ne sont pas sans évoquer les « trois ordres » de Pascal, l’ordre des corps, l’ordre de l’esprit et l’ordre de la charité, ou encore les trois stades de l’existence pour Kierkegaard le stade esthétique, le stade éthique et le stade religieux. Après le thème de l’absurde qui exprime la « négation » immédiate du monde, venait le thème de la révolte contre cette absurdité et cette injustice, une révolte qui retourne le négatif en « positif », avant que le cercle des cercles se ferme sur Némésis ou l’« amour ». C’est à ce dernier stade que devaient être consacrée Le Premier homme et les autres œuvres projetées. C’et celui de la justice ultime qui prend sa source dans l’amour.

Pour présenter la pensée de Camus, on peut suivre ce fil rouge des trois cycles en soulignant l’importance des thèmes envisagés. Le point d’origine de la réflexion est la figure de l’Étranger qui hante l’œuvre entière du romancier. Il n’hésitera pas à écrire dans ses Carnets en 1940 : « Étranger, avouer que tout m’est étranger ». Et Le Mythe de Sisyphe, en 1942, répètera en écho : « Dans un univers soudain privé d’illusions et de lumières, l’homme se sent un étranger ». C’est sur le fond de cette étrangeté de l’existence que le cycle de l’absurde déroule ses trois romans, L’Étranger, La Peste et La Chute, son essai philosophique le plus célèbre, Le Mythe de Sisyphe, et ses deux tragédies, Caligula et Le Malentendu. L’absurde apparaît quand l’homme constate le divorce entre le désir humain de sens et l’univers qui en est dépourvu. Seul le « silence déraisonnable du monde » répond alors à l’appel de celui qui, comme Kafka, éprouve son étrangeté sur la terre.

Une deuxième étape marque le moment de la révolte devant l’injustice de l’histoire qui se greffe sur l’absurdité de l’existence. L’Homme révolté, Actuelles, les Chroniques algériennes et les textes politiques sur la peine de mort, la bombe d’Hiroshima, les camps de concentration soviétiques, ou la polémique avec Sartre et Les Temps modernes, permettent de justifier le mouvement de la révolte. Elle ne se confond à aucun moment avec la révolution dont le nihilisme fondateur détruite tout ordre dans la cité et dans le monde. C’est à ce cycle qu’appartiennent les prises de position de Camus, si souvent mal comprises, sur la guerre qui déchirait sa terre natale d’Algérie.

La révolte, à son tour, n’a pas été le dernier mot de Camus. Le terme de son itinéraire devait être la révélation finale e l’amour. Cet amour infini qu’il portait à une mère sourde, quasi muette et illettrée, comme celui qu’il portait à un père inconnu, dont il découvre tardivement la tombe à Saint-Brieuc, culminent dans Le Premier homme, l’ouvrage inachevé du fait de l’accident tragique du 4 janvier 1960. Il nous reste heureusement assez de textes pour approcher cet amour des hommes que Camus n’a jamais séparé de l’amour du monde.

Le cycle des stades de l’existence met en lumière l’intuition solaire de Camus. Il l’a nommée, en reprenant une image commune à Nietzsche et Valéry, la Pensée de Midi. C’est en revenant à cette inspiration méditerranéenne, dont la pensée grecque a été la matrice, que l’Europe saura dépasser le nihilisme dans lequel elle s’est enfermée. Elle redonnera ainsi son sens à la mesure qui est le lien éthique qui relie l’homme et le monde.

Professeur Jean-François Mattei

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