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Remise de la Médaille d’or à Boualem Sansal – 4-12-2014

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En liaison avec 100. La médaille d’or de La Renaissance Française à Boualem SANSAL

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Le 4 décembre, à l’Académie des Sciences d’Outre-Mer, au cours d’une cérémonie qui rassemblait écrivains, personnalités du monde de l’édition, de la presse, académiciens et de nombreux amis l’écrivain algérien Boualem Sansal a reçu la Médaille d’Or de La Renaissance Française pour l’ensemble de son œuvre.

Discours du président international lors de la remise de la médaille :

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REMISE DE LA MEDAILLE D’OR de LA RENAISSANCE FRANCAISE à BOUALEM SANSAL
Par Denis Fadda

La vieille institution qu’est La Renaissance Française, la plus ancienne institution de la francophonie – elle célébrera son centenaire en 2015  – a pour vocation de participer au rayonnement de la langue française et de la culture française et francophone dans le monde, de veiller à la sauvegarde des patrimoines (y compris à notre patrimoine environnemental), de protéger les langues minoritaires, de faire dialoguer les cultures, et de contribuer, dans un esprit de partage, au rapprochement des hommes et des peuples.

Comme l’a voulu son fondateur, le Président de la République Raymond Poincaré, elle a aussi pour mission de reconnaître les mérites.

Elle le fait aujourd’hui ! et dans votre cas, Cher Boualem Sansal, les mérites sont immenses ; non seulement votre œuvre, traduite en de nombreuses langues, est remarquable, votre langue est belle et savoureuse, mais vous êtes un homme aux qualités exceptionnelles, au premier rang desquelles se trouvent le courage, la fidélité, la bienveillance, le respect de l’autre.

Votre courage vous a privé d’un prix littéraire …

En 2012, le prix du roman arabe vous a été décerné mais ne vous a pas été remis (certes vos amis l’ont tout de même fait…) parce vous aviez accepté d’être l’invité d’honneur du festival international des écrivains de Jérusalem et qu’ainsi vous vous étiez rendu en Israël. Il vous a privé d’un prix littéraire mais, plus grave encore, il vous a exposé à de terribles menaces. Et vous avez fait face ; toujours vous faites face.

Les qualités que j’ai mentionnées transparaissent dans toute votre œuvre.

Une œuvre que vous avez vraiment abordée, comme un hommage, après le décès brutal de votre ami frère l’écrivain Rachid Mimouni qui n’avait cessé de vous inciter à prendre la plume. Il disparaît en 1995, vous commencez à écrire en 1997. Vous publiez Le serment des Barbares ; pour un coup d’essai, c’est un coup de maître ; vous obtenez le prix du premier roman et le prix Tropiques de l’Agence française de développement.

D’autres romans suivent, des essais, des nouvelles : L’enfant fou de l’arbre creux, Dis-moi le Paradis, Harraga, Poste restante : Alger, Petit éloge de la Mémoire, Le Village de l’Allemand ou le journal des frères Schiller, Rue Darwin et, il y a quelques mois, « Gouverner au nom d’Allah ». Et vous recevez d’autres prix, le Prix Michel Dard, le Grand prix RTL-Lire, le Grand prix SGDL du roman, le Prix international Nessim Habif de l’Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique, le Prix Louis Guilloux, le Prix Roman News et, en 2011, le si prestigieux Prix de la Paix des libraires allemands auquel succédera en 2013, le Grand prix de la Francophonie décerné par l’Académie française.

Le prix de la paix vous a projeté sur le tout devant de la scène ; vous êtes désormais sollicité de toutes parts pour parler de votre œuvre, donner des conférences ou faire connaître vos avis sur tous types de sujets.

Le Prix de la paix des libraires allemands est attribué à des personnalités qui « par leur activité littéraire scientifique et artistique, ont servi de manière significative la progression des idées pacifistes » ; c’est ce que vous ne cessez de faire.

Dans vos romans, vous faites preuve d’une imagination romanesque devenue rare, une imagination foisonnante. Mais une imagination qui puise dans la réalité et qui en dessine la complexité, en scrute les failles, en rend sensibles les abîmes.

On le sait, le roman peut véhiculer les vérités bien plus que tout autre genre. Aussi, vos détracteurs les lisent avec la plus grande attention et même entre les lignes ; ils ne les comprennent pas toujours bien d’ailleurs, mais ils critiquent, et quelquefois avec violence.

Mais rien ne peut vous arrêter, car vous avez décidé, une fois pour toutes, d’être un homme libre, sachant que si l’écrivain est assujetti à une nécessité, c’est bien à la liberté. Lorsque certains s’étonnent de vous voir prendre tant de risques, il vous arrive de leur répondre : « Est-ce que la tranquillité doit passer avant la liberté ? ».

Il y a chez vous le courage, mais il y a aussi une haute idée des devoirs de l’écrivain. En exergue du Village, évoquant une imaginaire correctrice des épreuves de l’ouvrage, vous faites dire à votre héros, Malrich Schiller : « Elle dit qu’il y a [dans ce livre] des parallèles dangereux qui pourraient me valoir des ennuis. Je m’en fiche, ce que j’avais à dire, je l’ai dit, point, et je signe » ; ce qui fait écho au célèbre aphorisme de René Char : « Tu ne peux pas te relire mais tu peux signer ».

Dans toutes vos œuvres, vous abordez des thèmes que bien peu, sur l’autre rive de la Méditerranée, oseraient seulement mentionner. Ainsi, dans le Village, vous évoquez la tragédie de la shoah et ceux qui veulent tout en ignorer. Je le disais, vous avez bravé les critiques les plus virulentes en vous rendant à Jérusalem. Vous y avez rencontré David Grossman, récipiendaire du prix de la paix un an avant vous.

Evoquant cette rencontre au cours de laquelle, tous deux, vous avez parlé de paix, dans une ville « où cohabitent juifs et arabes, où les trois religions du Livre se partagent le cœur des hommes », vous vous êtes demandé si elle ne pourrait pas être le début d’un vaste rassemblement d’écrivains pour la paix et vous y avez travaillé. Ce rassemblement a eu lieu. En octobre 2012, dans le cadre du Conseil de l’Europe, vous avez lancé, avec David Grossman, l’ « Appel de Strasbourg pour la paix » ; les écrivains ont été très nombreux à vous rejoindre.

Malgré les risques encourus, jamais vous n’avez voulu quitter votre terre ; vous auriez craint que vous en éloigner ne constitue une amputation, une trahison, un abandon. On n’abandonne pas sa mère et, plus que tout autre, vous le savez.

Votre pays vous habite et il est partout dans votre œuvre, mais vous avez souvent du mal à le comprendre et même à le trouver.

Vous écrivez, « j’aime mes repères, j’en vois la poésie et l’enseignement qui découle de la marche. Mais voilà, on ne le sait pas avant de se mettre en route, son pays n’est pas seulement celui auquel on pense, là où on le croit, il est aussi mouvant que le sable dans le désert, que le vent dans le ciel, que le temps dans le rêve. Il est partout sur terre… »

Mais heureusement, il y a la nostalgie à laquelle vous consacrez le « Petit éloge de la mémoire » ;  la nostalgie, écrivez-vous, « le mal du pays comme on dit, est une richesse, un formidable gisement. Le tout est de savoir où est son pays, ce qu’il a été, ce qu’il est devenu, comment et pourquoi on s’en est éloigné, et par quel fil on s’y rattache encore » et vous dites aussi de la nostalgie « je découvrais combien elle aide à passer les jours, à se reposer de ses peines, à échanger des rêves, à se construire un avenir commun »

Inévitablement, on vous rapproche d’Albert Camus et je ne fais pas seulement référence, bien sûr, au fait que le quartier de Belcourt vous réunit : lui rue de Lyon, vous rue Darwin à deux pas. D’ailleurs, dans « Rue Darwin », vous faites référence à « cet autre enfant de Belcourt (…) ressortissant de la rue de Lyon, le fils de la vieille Catherine, la voisine du quartier ».

Vous rapprochent le talent, la hauteur de vues, la liberté d’esprit, la franchise, l’amour passionné de votre même terre, l’affection profonde pour tous ceux qui l’habitent, la tolérance, le goût du dialogue. Tous deux vous êtes avant tout des hommes de cœur. Si vous aviez vécu dans la même époque, vous auriez certainement aimé vous retrouver chez Charlot, la si célèbre librairie d’Alger ; à partir de là on peut tout imaginer. Le cours de l’histoire – qui sait – eût pu en être modifié.

Dans « Rue Darwin » encore, il y a une amorce d’échange entre vous deux. Votre héros dit : « Ici tout commence par la fin, dans l’effroi et le grouillement de la misère. Vivre n’est que porter le deuil de soi. ‘ Vivre, c’est ne pas se résigner’ avait dit Camus ». Et votre héros d’ajouter : « Lui aussi était venu d’un pays lointain, un lieu sans passé ni avenir, Mondovi sur la carte, le bout du monde, et de même un jour il est parti vers un autre, nous laissant la terrible nouvelle d’un monde radicalement absurde ».

Vous avez mentionné « Mondovi » ; d’une certaine façon nous pourrions dire que c’est à Mondovi que se joue le sort de l’Algérie de demain. Nous avons enfin obtenu que la maison dans laquelle Camus a vécu sa première enfance soit classée – cinq ans d’efforts ! – un très grand pas a ainsi été franchi, l’enfant est reconnu. Cette très modeste demeure devrait devenir un non moins modeste musée.

Si le projet n’est pas remis en cause, si tirant bénéfice de la proximité avec Hippone et donc avec Saint Augustin, il est mené jusqu’à son terme, c’est à dire jusqu’à la création de ce centre international d’échanges dans les domaines de la littérature et de la philosophie dont vous et moi nous rêvons, nous pourrons dire : nous ne nous sommes pas résignés.

Il serait juste alors que ce soit vous, Boualem Sansal, qui présidiez aux destinées de ce lieu de réflexion, de dialogue et de paix, vous en qui l’Algérie a trouvé son Camus du XXIème, vous qui avez écrit « Je fais de la littérature, pas la guerre », vous qui ne vous résignez jamais.

Cher Boualem Sansal, cher Boualem, aujourd’hui, au moment où, au nom de La Renaissance Française, je vais vous remettre cette médaille d’or, du fond du cœur, je vous dis merci, merci infiniment de ce que vous apportez à la littérature, merci pour l’exemple que vous donnez, merci d’être un pèlerin de la paix.

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Discours de remerciements de Mr Boualem SANSAL


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MÉDAILLE D’OR DE LA RENAISSANCE FRANÇAISE
Discours de remerciement de Boualem Sansal 4 décembre 2014

Monsieur le Président de l’Académie des Sciences de l’Outre-Mer, et Président international de la Renaissance française, cher Denis Fadda ;
Mesdames et messieurs les Membres de l’Académie ;
Honorables invités ;
Mesdames et Messieurs.

Je n’insisterai pas, l’émotion me ferait perdre mes moyens, je vous dis simplement MERCI de tout cœur et je vous laisse deviner à quel point je suis intimidé d’être devant vous, à quel point je suis fier de recevoir cette magnifique distinction, la Médaille d’or de la Renaissance française, et à quel point je suis heureux de posséder un peu de cette richesse qu’est la culture française et d’être quelque part le produit de l’histoire de France, puisque l’Algérie, mon pays, notre pays cher Denis Fadda, et cher Jean Daniel, a été française pendant presque un siècle et demi et que depuis le sein de ma mère à ce jour je me nourris de sa culture, je me suis enrichi de sa langue, auxquelles, sans beaucoup y parvenir hélas, j’essaie de rendre un peu de ce qu’elles m’ont donné. Ajouter une cuillerée d’eau à l’océan est dérisoire mais quand même, ce sont les petites gouttes de pluie qui ont rempli les océans et les mers.

Vous le savez, Mesdames et Messieurs, la France est dans le cœur et l’esprit de centaines de millions de personnes à travers le monde. Peu de pays, voire aucun, j’ai cherché, peuvent se flatter de recueillir une telle masse de sympathie, d’admiration, de reconnaissance et d’amour, et quand parfois on critique la France, qu’on la moque, on la condamne, on le fait avec tant de plaisir et d’insistance, ça ressemble au dépit de l’amoureux qui du coup trouve tous les défauts du monde à sa belle. Mais c’est aussi que la France a tous les défauts du monde et que, précisément c’est cela qui fait son attrait, car contrairement aux autres qui cachent leur bosse ou font les fiers-à-bras, la France, elle,  sait habiller ses défauts d’élégance et de légèreté et les promener en ville, donnant ainsi au touriste timoré de quoi s’étonner, se réjouir et se repenser au bout du compte. Un défaut à côté d’une qualité devient une qualité supérieure chez les belles personnes, il rehausse leur charme.
Partout dans le monde on a un besoin de France, de cette France, la France des Lumières, de l’art, de la science, de la culture, et n’oublions pas la gastronomie, c’est très important. Et cela parce que l’histoire, ou la géographie ou le hasard, ou un génie, a mis la France au centre du monde et la nature du centre, forcément unique, est d’ordre harmonique, en lui est le mouvement et la dynamique et en lui est la stabilité et le repos. En France, en se promenant dans ses villes et ses villages, on se sent de tous les temps, toutes les époques, du passé comme de l’avenir, ce qui est une forme d’éternité, voilà pourquoi on s’y sent si bien et qu’on veut y rester.

Plus que cela, la France est l’un des rares pays à avoir presque continûment au cours de son histoire été grand parmi les grands. Elle a connu évidemment des défaites et des chutes honteuses, mais jamais d’éclipse durable car très vite elle se reprend et retrouve son rang, sa dignité et son éclat.

La France n’est la France que quand elle est ainsi, grande, généreuse, amicale et qu’elle rayonne sur le monde. Mais voilà qu’aujourd’hui en parlant de la France, on dit des mots effroyables, qui jamais ne lui ont été accolés, on parle de déclin, de décadence, de déclassement, de suicide, de misère, on s’en éloigne, et pire que tout : on dit qu’on s’y ennuie, ce qui n’a jamais été possible dans ce pays.

S’il fallait réagir, et il le faut car il y a une tentation morbide de se laisser mourir, il faut d’abord trouver le mot magique qui permet de réaliser le miracle, le sésame qui ouvre la porte de l’avenir. Les mots, Révolution, Rupture, Réforme, Relance, Croissance, Innovation, Restructuration, que l’on répète à satiété ces derniers temps semblent tout à fait inopérants, rien ne bouge pendant que l’eau monte d’un cran à chaque nouvelle loi, à chaque élection. En 1945, alors que le monde fumait encore des horreurs de la guerre mondiale, De Gaule avait trouvé le vocable idoine, il a dit « Résurrection » et le miracle eut lieu en effet, en deux temps trois mouvements la France s’est redressée et est remontée sur son piédestal à la grande joie des siens et de ses amis. A mon avis, dans cette phase cruciale, où la France menace de disparaître dans le tourbillon de la mondialisation et dans l’inconsistance suicidaire de l’Europe, le mot magique serait le mot Renaissance. C’est le mot que vous avez choisi, monsieur le Président, cher Denis Fadda, de donner à votre prestigieuse récompense, la Médaille d’or de la Renaissance française. C’est précisément ce mot qui depuis François 1er à De Gaule en passant par le siècle des Lumières et d’autres étapes phénoménales, a fait cette France qui brille sur le monde. La France peut et doit retrouver cet état d’esprit, cette ambition, cette culture, qui ont donné au Français au cours des siècles une place dans la lumière, la confiance en lui-même et en l’humanité, la soif de vivre, l’envie de changer, le goût du savoir, la passion, de la liberté et de l’aventure. Le reste, la croissance, l’emploi, l’efficacité, la compétitivité sur les marchés, lui seront donnés de surcroît.

Voilà, il est l’heure de parler de Renaissance, avant que tout meurt et se dessèche. C’est cela que partout dans le monde, les amoureux et les amis de la France attendent d’elle, qu’elle renaisse et nous fasse profiter de sa lumière.

Je vous remercie.

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