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CULTURE : Michel Bouquet offre une sortie de scène à la façon de Molière

par La Renaissance Française

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Michel Bouquet, au conservatoire de Montluçon en novembre 2019 ( Photo La Montagne © COUDERC Bruno)

A l’image de l’homme de théâtre et de cinéma qu’il fut, Michel Bouquet a offert au monde une sortie de scène comparable à celle de Molière. Seule la maladie l’avait éloigné des feux de la rampe. A 96 ans, il a rendu son dernier souffle sans n’avoir jamais annoncé sa mise à la retraite et fait de tournée d’adieux.
A 94 ans, il apparaissait une nouvelle fois au cinéma dans le rôle de Marcel Germon, dans « Villa caprice » réalisé par Bernard Stora.
A 95 ans, il était Maxime dans « Cérémonie secrète », film de Tatiana Becquet Genet.
De nombreuses fois récompensé par la profession du théâtre et du cinéma, il était titulaire des hautes distinctions de la République (grand-croix dans l’ordre de la Légion d’Honneur). En juin 2019, il avait reçu des mains du président international Denis Fadda la médaille d’or de la Renaissance Française.

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Aytèn Inan, présidente de la délégation « Grand Paris » de La Renaissance Française, en compagnie de Michel Bouquet. Dans le texte ci-dessous, elle lui rend l’hommage de l’artiste qu’elle est, virtuose de l’écriture comme de la musique…

« Je n’ai connu Michel Bouquet qu’à l’hiver de sa vie, à l’occasion d’une cérémonie organisée par la Délégation du Grand Paris de la Renaissance Française en juin 2019 alors qu’on l’honorait d’une distinction pour l’ensemble de sa carrière.
Je ne pourrais conter mieux que ses pairs ne le feront ses immenses qualités de comédien, je ne pourrais égrener la si longue liste des pièces et des films dans lesquels il a joué avec passion, les journalistes le feront, je ne pourrais exprimer l’intrigant sentiment qu’il éveillait dans tous ses rôles, mélange de magnificence distance et d’infinie présence, le public saura le faire mieux que moi.
Tout ça, non, je ne le pourrais pas.
Je ne peux dire que ce que j’ai vécu, dans l’intermittence de nos rencontres, ces trois dernières années.

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Je ne peux dire alors que… son sourire d’enfant lorsqu’il émergeait de ces eaux troubles qui forment parfois le décor de la grande vieillesse, sa peur soudaine d’être en retard sur scène et d’oublier son texte, ses reprises des Fables de la Fontaine, à la virgule près, comme un chemin de mémoire tant de fois emprunté qu’on le connaît par cœur.
Je ne peux dire que nos heures passées à écouter les symphonies
de Beethoven qu’il aimait tant.
Je ne peux dire que son visage merveilleusement ridé qu’il tendait à la lumière dès qu’un rayon de soleil filtrait par les fenêtres aseptisées, je ne peux dire que nos mains enlacées quand les mots, déjà, s’en étaient allés.
Je ne peux dire que je n’ai que mes yeux pour pleurer sur l’épaule de sa tendre femme Juliette Carré qu’il regardait avec la vitalité complice et amoureuse d’un jeune homme se faisant beau avant un premier rendez-vous.
Je ne peux rien dire, vous le voyez.
Je ne peux que pleurer et m’incliner une dernière fois au chevet de ce grand Homme, lui souffler encore combien je l’aime et combien il a compté pour moi ».

Aytèn Inan, Pianiste
Présidente de la Délégation du Grand Paris
de La Renaissance Française.

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L’hommage d’Aurélia Khazan à Michel Bouquet

Au cours de cette cérémonie, la comédienne Aurélia Khazan avait fait lecture d’un magnifique texte d’une infinie sensibilité, révélant les lumières qui ont illuminé la vie de Michel Bouquet sur le chemin du Théâtre français.

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Aurélia Khazan lors de la cérémonie de remise de la médaille d’or de La Renaissance Française à Michel Bouquet, en juin 2019.

HOMMAGE A MICHEL BOUQUET Par Aurélia Khazan

Confronté au pire pendant ses tendres années,
Aujourd’hui reconnu comme un monstre sacré,
Est conté le récit d’un enfant solitaire
Bien souvent réfugié dans son imaginaire.
Trop souvent envoyé dans le creux des deux murs
Au piquet en pension, l’esprit rêve pour sûr…
Sans connaître à l’époque Thalie et Mélpomène,
Lorsqu’éclate la guerre, sous le son des sirènes,
De Paris à Sens il traverse sous les bombes
Le dur chemin à pied, en espérant la ronde
Des jours heureux prochaine et que cesse la crise,
Les rares biens de famille traînés par sa valise.
Les pièces des grands auteurs, comme des lieux de refuge,
Accueillirent le jeune homme et textes pour seuls juges
Il bouda la messe en ce dimanche matin
Et Musset par ses vers bouleversa son destin.
Il rencontra alors l’homme tant admiré
Monsieur Maurice Escande, Doyen du Français.
Le Maître reconnut les talents de l’acteur
Qu’il prit comme exemple devant ses frères et sœurs
Elèves de ce cours qu’il venait découvrir.
Rendre hommage aux auteurs est son plus grand désir.
La vocation du jeune homme, sans aucun détour,
Fut alors révélée évidente en ce jour.
Il entre en théâtre comme d’autres en religion,
Loin d’être un Tartuffe, il prie les mots et les sons.
Recueilli en jour clairs ou en Nuit et Brouillard
Il répond aux appels des chants du septième art.
Des divers sens des textes il veut trouver Les Justes,
Le personnage devient sa voix grave et robuste.
Puis Maître à son tour, comme Tous les matins du monde,
Il forme des promotions de talent fécondes.
Des savoir et partage il n’est jamais Avare
Face à ses apprentis du grand Conservatoire.
Devant tous ces chefs d’œuvre et plein d’humilité
Il transmet aux élèves le flambeau sacré.
Serviteur de cet art consacré aux auteurs,
L’homme de théâtre s’efface quand sonnent leurs heures.
Le public nostalgique et un peu orphelin,
Sachant qu’en se domaine il n’y a pas de fin,
Sur le choix de partir et fort de vos présents
De ce talent vous est le plus reconnaissant.

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Michel Bouquet naît le 6 novembre 1925 dans le 14e arrondissement de Paris. Il est le benjamin d’une famille de quatre garçons.
Fils d’un chef comptable à la préfecture de police de Paris rescapé de la première guerre mondiale, et petit-fils d’un cordonnier, Michel Bouquet est envoyé à l’âge de 7 ans en pension à Vaujours avec ses trois frères, expérience difficile qui marque cet enfant réservé qui doit affronter la cruauté de ses camarades.
Après ses études, il enchaîne les petits métiers : apprenti pâtissier, mécanicien-dentiste, manutentionnaire, employé de banque… pour aider sa mère restée seule pour élever ses enfants, son père étant prisonnier au début de la seconde guerre mondiale. En 1943, alors que sa mère le croit à la messe, Michel Bouquet se rend chez Maurice Escande, sociétaire de la Comédie-Française, qui lui propose de suivre ses cours.
Intégrant le Conservatoire d’art dramatique de Paris en compagnie de Gérard Philipe, il sera un compagnon de la première heure de Jean Anouilh et André Barsacq au théâtre de l’Atelier, puis de Jean Vilar au TNP et au Festival d’Avignon2. Il débute sur les planches en 1944 dans La Première Étape, puis obtient son premier rôle principal dans Roméo et Jeannette de Jean Anouilh.
Michel Bouquet a marqué le théâtre, en participant aux créations de Camus, à l’introduction en France de l’œuvre de Harold Pinter et en reprenant souvent quelques grands rôles : ainsi a-t-il interprété à plusieurs reprises Le Neveu de Rameau de Diderot, L’Avare de Molière ou encore Le roi se meurt d’Eugène Ionesco. Parmi ses plus célèbres prestations sur scène, on note : En attendant Godot en 1978 et Fin de partie en 1995 de Samuel Beckett, Le Neveu de Rameau en 1984, La Danse de mort de Strindberg également en 1984, Le roi se meurt en 1994, Les Côtelettes de Bertrand Blier, Avant la retraite de Thomas Bernhard en 1998 ou encore À torts et à raisons de Ronald Harwood en 2000.
Michel Bouquet fait sa première apparition au cinéma dans Monsieur Vincent de Maurice Cloche en 1947, aux côtés de Pierre Fresnay et Jean Carmet.
Il alterne théâtre et cinéma tout en affirmant préférer les planches à l’écran. Il s’est notamment fait connaître par ses interprétations de bourgeois typique des années 1970 dans l’œuvre de Claude Chabrol et de François Truffaut, sans hésiter à endosser des rôles antipathiques, à jouer des personnages équivoques, sombres, énigmatiques. Sa silhouette ronde, son visage d’ascète et sa voix grave lui confèrent singularité et profondeur. Il illustre l’étendue de son talent aussi bien dans la comédie que dans le drame. Il est aujourd’hui considéré comme l’un des plus grands acteurs français.
(Avec le concours de Wikipédia).

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L’hommage du président international Denis Fadda à Michel Bouquet lors de la cérémonie de remise de médaille d’or de La Renaissance Français, le 27 juin 2019

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Monsieur,

Chaque soir être neuf, chaque soir être nu, chaque soir, désarmé, entrer en scène.

Mais qu’est-ce que cela signifie « entrer en scène » ? C’ est faire face : faire face à la lumière, à l’assemblée, à l’attente d’autrui. Etre présent !
Qu’est ce que cela signifie « être présent » ? c’est puiser dans les eaux profondes du souvenir :souvenir des mots, des vers, des phrases, des images, des émotions, pour laisser au corps une étrange autonomie.
Car c’est le corps qui parle ou se tait, c’est le corps qui affronte la lumière et joue avec elle, c’est le corps qui entre en danse. Et je vais risquer une métaphore très personnelle pour tenter de traduire ce qu’est le jeu du comédien.
Nous connaissons tous ce conte merveilleux et tragique « La chèvre de Monsieur Seguin ». A la fin de sa première journée de liberté, la petite Blanquette se trouve face au loup ; mais au lieu de se laisser dévorer par la bête, elle décide de se battre et de tenir son rang. Et la voilà qui entre en scène, sous la clarté des étoiles, courageuse, vaillante, bien que consciente de l’issue fatale.
Alphonse Daudet décrit merveilleusement ce combat qui est l’expression même de la vie, faite de souffrances et de jubilations. Voilà ce qu’est le jeu d’un comédien : une prise de risques, une mise en danger, un engagement dont on ne connaît pas l’issue.
Et jusqu’à présent, pour vous, il en a été ainsi, et ce depuis votre adolescence.
Le jeu est, en effet, la première des activités libres de l’être humain ; c’est dans le jeu qu’il exerce sa souveraine liberté.
Une vie consacrée au jeu est donc une vie consacrée à l’exercice de la liberté ; exercice terriblement difficile, contraignant, exigeant car tout jeu suppose une règle. « Semper rigorem ! » répétait Léonard de Vinci qui s’y connaissait en terme de création.
Le spectateur ressent la vérité de ce jeu qui lui permet de communier avec une œuvre écrite il y 10 ans, 100 ans, 1000 ans, 3000 ans.
L’acteur véritable doit savoir s’effacer tout en donnant sa substance au personnage qu’il incarne. C’est ce paradoxe que vous savez dépasser dans chacune de vos interprétations. Combien de destinées avez-vous ainsi assumées ?
Vous avez servi les auteurs dramatiques les plus grands, les textes les plus exigeants : de la phrase prolixe d’Anouilh à la parole quasi silencieuse de Beckett ; de la malice vertigineuse de Molière à la simplicité énigmatique des pièces de Pinter.

Chaque fois, pour chaque personnage, renouveler une incarnation qui soit la plus juste possible, la plus près possible d’une vérité provisoire et éphémère, la vérité du théâtre.
Ainsi, alors que l’on va voir Michel Bouquet dont le nom est sur l’affiche, on rencontre Arpagon, Scipion, Argan, le Roi, Robespierre, Lucien, Henri de Galles, Léandre, Minetti, Pozzo et tant d’autres personnages auxquels vous avez donné vie.
Chacun de vos rôles, au-delà d’une interprétation, a été une création.
Vous avez donné au public des clefs pour entrer dans les œuvres les plus profondes, les plus belles, les plus énigmatiques.
Vous avez permis au grand public de s’enthousiasmer pour Aristophane, Shakespeare, Molière, Diderot, Vigny, Ionesco, Camus, Garcia Lorca, Gogol, Beckett, Pinter, Thomas Bernhard, Obaldia, Planchon, Kawabata et la liste est loin d’être close. C’est stupéfiant le nombre de personnages que vous avez incarnés et dont vous avez su élucider l’énigme.
Il faut évidemment évoquer vos engagements dans le domaine du cinéma.
Dans des registres très différents, vous avez travaillé avec les plus grands metteurs en scène, notamment Henri-Georges Clouzot, Abel Gance, Jean Delannoy, Claude Chabrol, François Truffaut, Jacques Deray, Yves Boisset, Henri Verneuil, André Cayatte, Alain Corneau, Michel Audiard, Anne Fontaine.

Par ailleurs, vous avez prêté votre voix pour des projets variés mais toujours de haute teneur intellectuelle et artistique ; votre voix au timbre à la fois sonore et chaud, soutenue par une diction souple et précise qui met en valeur la mélopée propre à la langue française.
Ainsi, juste après la Guerre, vous répondez aux sollicitations de Jean Tardieu qui anime le « Club d’essai » de la naissante Radiodiffusion française, pour y dire des œuvres poétiques et romanesques. Vous y rencontrez Supervielle dont vous lisez les poèmes et André Malraux dont vous lisez La Condition humaine.
La langue française, ce serait à vous de dire ce que cela fait de la servir, vous qui l’avez honorée avec tant d’amour sous toutes ses formes : le vers français et sa cadence si difficile à allier au dialogue théâtral, la prose spécifique de chacun des grands auteurs que vous avez interprétés – ce qui vous a amené à parler l’anouilhen, le camusien, le ionesquien, le beckettien – sans oublier les textes d’auteurs étrangers traduits en français, ce qui est un autre défi.
Une vie d’aventures, en effet, qui commence en 1943 au Conservatoire d’art dramatique de Paris ; vous apprenez le métier sous la houlette de Maurice Escande votre maître, avec pour modèles Mme Segond-Weber, Charles Dulin et Louis Jouvet. Vous avez alors Gérard Philipe comme condisciple.
Dès lors l’aventure n’a pas cessé, une aventure fondée sur une valeur fondamentale : le travail, un travail solitaire et acharné ; une aventure faite de solidarités qui donnent sens et force à votre engagement ; je pense, notamment, à vos liens avec Jean Anouilh, André Barsacq, Jean Vilar.
Et c’est sans doute par reconnaissance à l’égard de ceux qui ont nourri et structuré votre goût pour le théâtre, que vous devenez, en 1977, professeur au Conservatoire national supérieur d’art dramatique où vous remplissez votre mission avec passion et générosité, malgré la densité des répétitions, représentations, tournages, tournées qui rythment votre vie de comédien et d’acteur.
Homme de fidélité, fidélité aux auteurs, aux œuvres, aux personnages et surtout à vous-même, vous avez servi autant les auteurs reconnus que ceux qui l’étaient moins et que vous avez voulu faire connaître et comprendre comme Pinter ou Kawabata.
Mais c’est l’humilité qui, alliée au talent et au travail, est la clef de votre carrière exceptionnelle, humilité acquise dans votre enfance par les valeurs qui vous ont été transmises par votre famille.
Vous avez humblement, courageusement « creusé votre sillon » accompagné de Juliette Carré votre épouse, votre amie, votre partenaire. Les prix, les distinctions, les décorations – vous êtes Grand croix de la Légion d’honneur – jusqu’à ce jour ne vous ont pas manqué ; en vous remettant, aujourd’hui, la Médaille d’or de La Renaissance Française que devait vous remettre le Chancelier Gabriel de Broglie de l’Académie française, notre président d’honneur, je veux vous exprimer, Monsieur, l’admiration et la reconnaissance du monde francophone, du monde de la culture – et j’oserais dire du monde des cultures que représente notre institution – pour votre apport extraordinaire à la langue française et à la littérature que vous continuez de servir de façon magistrale.

Paris, le 27 juin 2019
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