[|CENTENAIRE DE LA RENAISSANCE FRANCAISE
HOMMAGE À RAYMOND POINCARE
DISCOURS DU PROFESSEUR DENIS FADDA
Président international de La Renaissance Française|]
Raymond Poincaré naît à Bar-le-Duc, le 20 août 1860.
La première des trois guerres ayant opposé la France et l’Allemagne éclate le 19 juillet 1870.
Poincaré est élu Président de la République française le 18 février 1913 ; son mandat s’achève le 18 février 1920.
Ces quelques dates et faits nous disent beaucoup sur Raymond Poincaré.
Bar-le-Duc où il est né est le chef-lieu du département de la Meuse et tous ses ascendants sont lorrains. Vosgiens du côté paternel, Meusiens du côté maternel. Lui-même est profondément lorrain ; il restera toute sa vie très attaché à sa province ; il sera enterré à Nubécourt, berceau de sa famille maternelle, après sa mort à Paris le 15 octobre 1934. Sans doute aurait-il pu dire avec le Meusien Pierre Gaxotte : « Je ne vois pas pourquoi je cesserais d’être de mon village. Il a changé. Je l’ai quitté. J’ai vieilli mais je le porte toujours en moi et je serais bien sot de me dire d’ailleurs pour en tirer vanité ».
Il va avoir dix ans lorsqu’éclate la guerre ; il est témoin de la défaite. La Lorraine est amputée, la frontière avec l’Allemagne est déplacée ; il voit arriver en grand nombre les réfugiés d’Alsace et de Moselle et il découvre leur détresse ; jusqu’en 1874 il connaît l’occupation prussienne et les humiliations qui l’accompagnent. Il en sera marqué à vie.
Ceci va faire de lui un patriote, mais aussi un homme de paix. Président de la République de la Grande Guerre, il le démontrera.
I – Un patriote
Patriote et républicain convaincu, laïc mais pas pour autant anticlérical, il veut agir, faire valoir ses idées. Jeune et déjà brillant avocat, premier secrétaire de la conférence du stage, il saisit l’occasion de s’engager en politique dès qu’elle se présente.
Il est élu conseiller général puis député l’année suivante, en 1887 ; il est alors le plus jeune parlementaire français. En 1903, il passe de la Chambre des députés au Sénat. Lorsqu’il décède à 74 ans, il a accompli 40 ans de vie parlementaire et 48 ans de vie politique ininterrompue. Aucun échec électoral.
Il est à différentes reprises ministre de l’instruction publique, ministre des finances, ministre des Affaires étrangères, cinq fois Président du conseil en trois périodes distinctes, avant et après avoir été Président de la République.
C’est une longévité politique au plus haut niveau tout à fait exceptionnelle. Il a été réélu au Sénat avant même l’expiration de son mandat de Président de la République et y a été réélu, pour la dernière fois, un an et demie avant sa disparition.
À 49 ans, il a aussi été élu à l’Académie française ; l’année précédente, ses adversaires politiques ont favorisé l’élection de son cousin germain le mathématicien-physicien-philosophe Henri Poincaré, pensant qu’ainsi ils lui barreraient la route de l’Académie. Peine perdue, Henri Poincaré est en effet élu mais Raymond l’est aussi. Une intelligence brillante, une grande force de conviction : il s’impose toujours.
Poincaré ne veut pas la guerre mais, lorsqu’il faudra la faire, il la fera vraiment.
En 1913, des informations alarmantes commencent à lui parvenir, l’Allemagne se réarme.
Il multiplie alors les voyages à l’étranger pour s’assurer de la fidélité des alliés de la France. Encore quinze jours avant le déclenchement du conflit – l’Allemagne déclare la guerre le 3 août 1914 – il est en Russie.
La guerre éclate, il se dépense sans compter. Les ministères passent ; la France connaîtra dix gouvernements durant cette guerre. Bien qu’il ait proclamé « l’Union sacrée » le 4 août 1914, les jeux des partis ne cessent pas. Il est le seul « permanent » Il se sent un peu seul mais il ne se décourage nullement.
Il doit redoubler d’énergie, il se rend souvent sur le Front, il convainc, il galvanise. Son rôle est déterminant. Celui de Clémenceau, à partir de 1917, sera certes considérable mais l’opinion publique et l’Histoire ont été injustes en attribuant à Clémenceau seul le surnom de « Père la Victoire ».
S’il a été le Président de la République de la Guerre, Poincaré n’en a pas moins été habité par l’idée de construire la paix. Il fallait gagner la paix et reconquérir les cœurs dans les territoires libérés.
II – Un homme de paix
Dès la fin de 1914 et le début de 1915, un petit groupe se constitue autour de lui ; il est mené par le meusien Georges Lecourtier qui deviendra député puis sénateur. Ce groupe réfléchit déjà à la reconstruction dans les zones détruites et à l’édification d’une paix durable entre les peuples.
Poincaré est un visionnaire. Pour lui, la victoire de la France ne fait aucun doute ; il croit en la victoire mais la victoire ne suffit pas ; ce qu’il veut, c’est bâtir la paix entre la France et l’Allemagne. Pour cela il faut vaincre sans humilier.
En 1919, il s’opposera vivement à Clémenceau qui, lui, veut imposer à l’Allemagne des sanctions extrêmes, ce qui aura des conséquences terribles pour la France, l’Europe, le monde.
De même, il veut agir avec prudence vis à vis des populations libérées. À la fin de la guerre, il y aura presque 50 ans que lesdites populations sont séparées de la France ; les Alsaciens et les Mosellans qui ont quitté leur terre ont été remplacés par des Allemands. L’Allemagne a mené une politique de germanisation à outrance et la majeure partie des habitants des territoires ne connaît plus la langue française : « pauvres gens ballotés par les siècles entre deux grandes nations voisines ! » s’écriera Poincaré.
Il apprend que dans l’Alsace libérée, des camps de rétention ont été constitués pour y placer les personnes suspectes :
« Nous sommes rentrés dans un pays qui a désappris ce qu’il savait de notre langue. », dit-il … « Ne pouvons-nous pas être assez sages pour ne pas le juger sur des apparences ? ».
L’outil qu’il lui faut pour reconquérir les cœurs et faire de nouveau rayonner la langue et la culture françaises, pour œuvrer à la paix, c’est La Renaissance Française ; elle portera, au début, le nom de « Renaissance Française de l’Alsace-Lorraine ».
Dès 1913, Gustave Philippon, inspecteur général de l’instruction publique, a eu l’idée de La Renaissance Française ; il l’a proposée à Poincaré qui la fonde en 1915. Ses statuts sont déposés le 5 avril 1916 alors même que l’offensive allemande contre Verdun a été engagée le 21 février.
Quelle persévérance ! Quelle détermination ! Au cœur même du conflit, Poincaré continue à vouloir construire la paix. Là est vraiment son génie propre. Et il place la jeune organisation sous le haut patronage du Président de la République. À l’expiration de son mandat, il en sera président d’honneur.
La plupart de ceux qui portent avec lui La Renaissance Française sur les fonts baptismaux sont des Alsaciens et des Lorrains ; Lyautey, qui sera brièvement Ministre de la guerre en 1916-1917, est Lorrain, le Recteur Paul Appell est Alsacien, Georges Risler est de famille alsacienne.
Établissement d’utilité publique, La Renaissance Française sera autorisée à accorder des distinctions ; elle sera aussi placée sous le haut patronage des ministres des Affaires étrangères, de la Guerre, de l’Intérieur et de l’instruction publique.
Ces patronages indiquent bien l’esprit dans lequel notre institution s’est édifiée.
Poincaré a confié deux missions à La Renaissance Française : apporter de nouveau la langue et la culture françaises aux régions libérées et contribuer à l’édification de la paix et à sa pérennisation en Europe et au-delà.
Dès sa fondation, elle intervient avec succès en Alsace et en Lorraine ; le Président et Madame Poincaré sont parrain et marraine des enfants que l’institution prend en charge. Une fois la guerre terminée, La Renaissance Française tisse des liens en Pologne, en Tchécoslovaquie, en Hongrie, en Roumanie, en Bulgarie en Yougoslavie, au Liban, en Égypte.
De nos jours, elle continue d’agir pour la paix par la diffusion de la culture et des valeurs francophones, la protection des patrimoines et de l’environnement, la mise en valeur des cultures régionales et locales, la promotion des métiers d’art, l’aide aux communautés francophones dispersées et aux minorités linguistiques. Ceci, dans un esprit de dialogue, d’échange et de partage avec les autres cultures. Les délégations de La Renaissance Français hors de France s’attachent à faire rencontrer la culture française et francophone avec celle du pays où elles opèrent et à faire mieux connaître la culture de ce pays.
Interrogé sur « l’esprit français », Poincaré avait répondu : « Il y a un esprit français, comme il y a une langue française. Esprit, langage sont la représentation sociale, esthétique et morale d’un pays qui conserve, à travers les siècles, la conscience profonde de sa vie collective et de son unité nationale ».
Ce qui valait pour la France vaut, aujourd’hui, pour l’ensemble du monde francophone.
Homme de lettres, homme de grande culture, notre fondateur a placé une grande confiance dans La Renaissance Française ; je crois qu’en 101 années notre institution n’a jamais trahi cette confiance.