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Cérémonie de remise de la médaille d’or de La Renaissance Française à Alexandre Najjar pour l’ensemble de son oeuvre

par Internet - Site

PARIS – 15 OCTOBRE 2020 – C’est au cours d’une cérémonie tenue le 15 octobre, rue La Pérouse à Paris, que la médaille d’or de La Renaissance Française a été remise à Alexandre Najjar pour l’ensemble de son œuvre, en présence d’académiciens, de l’ambassadeur du Liban en France, Rami Adwan, et du président de la délégation de La Renaissance Française au Liban, Ibrahim Tabet.

Après un mot de bienvenue de Pierre Gény, secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences d’outre-mer, le président international de La Renaissance Française, le professeur Denis Fadda, a pris la parole pour retracer le parcours du récipiendaire de cette médaille qui a été attribuée par le passé à l’Algérien Boualem Sansal, l’Écossais Kenneth White, le Belge Jacques De Decker, le Grec Vassilis Alexakis, le Japonais Akira Mitsubayashi et le Turco-Suisse Metin Arditi : « Au moment où le Liban qui nous est si cher – ce pays aux 17 civilisations et aux 18 communautés, comme vous aimez à le rappeler – souffre tant, nous avons la satisfaction que votre talent mette à l’honneur un Libanais.
Avec vous, c’est au Liban tout entier que nous tenons à rendre hommage aujourd’hui »,
a-t-il notamment déclaré, avant de passer en revue les ouvrages de l’écrivain et de saluer l’importance de L’Orient littéraire.

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Le chancelier honoraire de l’Institut, M. Gabriel de Broglie, de l’Académie française, lors de son allocution.

Le chancelier Gabriel de Broglie, membre de l’Académie française et président d’honneur de La Renaissance Française, a ensuite prononcé une allocution en hommage au lauréat :« Je suis impressionné et heureux d’intervenir au nom de La Renaissance Française pour honorer un homme exceptionnel par ses qualités personnelles, par la place qu’il occupe au sein de son pays et au sein de la francophonie, et pour honorer un pays également exceptionnel qui traverse des circonstances tragiques au cours d’une longue période de dérèglement. Cette cérémonie a pour nous une grande importance parce qu’elle a pour héros une personnalité d’envergure et qu’elle est l’occasion d’exprimer mon attachement à un pays qui nous est cher, en présence de S.E.M. l’ambassadeur du Liban. »

« Un pont entre le Liban et la France »
S’adressant à Alexandre Najjar, il a déclaré : « Vous êtes né amoureux de la langue française. Vous avez été un enfant poète. Vous avez parcouru tous les champs de la création littéraire et audiovisuelle… Vos activités couvrent bien d’autres domaines culturels, juridiques, administratifs, journalistiques, de mécénat, vous êtes un militant de l’indépendance du Liban et d’une francophonie ouverte, de dialogue des cultures, mais aussi de la qualité de la langue française… Vous illustrez le Liban, vous êtes un pont entre le Liban et le France, vous êtes un auteur français et un acteur majeur de la francophonie. »

202354_196498.jpg[[Photo origine Site de Lorientlejour]]

Évoquant la visite du président Macron au Liban, il a dit « apprécier que le président de la République française se soit porté aussitôt sur la terre même du Liban pour offrir le concours de la France, et son action en faveur de la reconstruction, du redressement, de la réforme, avec l’accord de l’opinion en France, conforme à la prédilection toujours affirmée de notre pays pour le Liban. Mais qui peut gérer le redressement et appliquer les réformes ? Nous assistons tous à ce moment crucial avec beaucoup d’attention, d’inquiétude et d’espoir car nous avons tous une relation particulière avec votre pays, sa diversité, sa complexité, son ouverture, son accueil ».

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Alexandre Najjar : « Je fais part de mon amour et de ma fidélité à Beyrouth »

Le récipiendaire a conclu par un mot de remerciement et dédié sa médaille à Beyrouth : « Cette médaille d’or représente une nouvelle reconnaissance de l’apport du Liban à la francophonie et à la littérature, et une confirmation de son rayonnement culturel en dépit des vents contraires. Le 4 août dernier, ma ville natale, Beyrouth, a été détruite par une explosion d’une violence inouïe qui a causé la mort de 200 personnes et blessé 6 000 concitoyens, sans compter les milliers de maisons détruites.
À ma ville ravagée, je voudrais dédier la médaille que je reçois aujourd’hui. Je voudrais lui faire part de mon amour et de ma fidélité, lui dire qu’elle connaîtra bientôt la renaissance et qu’elle se relèvera certainement, parce qu’elle a toujours été courageuse et digne – elle l’a prouvé pendant les 15 années de guerre qui l’ont meurtrie et coupée en deux à la manière de Berlin avant la chute du mur. »

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Discours du professeur Denis Fadda, président international de La Renaissance Française

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Monsieur,
Dans votre ouvrage Le roman de Beyrouth, paru en 2005, vous évoquez votre pays, le Liban, « toujours convoité – dites-vous – et qui ne connaît pas vraiment de répit ».
Le Liban venait de connaître quinze années de guerre de 1975 à 1990, une occupation syrienne de 30 ans – il fallut l’assassinat de Rafiq Hariri le 14 février 2005 et le soulèvement de la population pour qu’elle cessât – et il allait connaître, à partir de 2011, les conséquences de la guerre en Syrie dont la venue de quelque 1 500 000 réfugiés – le Liban, avec son admirable sens de l’hospitalité accueillait peut-être ceux qui l’avaient occupé.
Suivit une terrible crise économique, une crise monétaire, une crise politique et institutionnelle avec des manifestations constantes à partir de l’automne 2019 et, ces derniers mois, une dure crise sanitaire. Les épouvantables explosions survenues sur le port de Beyrouth, le 4 août dernier, ont mis le pays dans une situation extrêmement périlleuse. C’est un miracle qu’il soit debout ou, tout au moins, qu’il soit.
Oui, votre phrase est juste, votre pays ne connaît vraiment pas de répit.
Aussi, au moment où le Liban qui nous est si cher – ce pays aux 17 civilisations et aux 18 communautés, comme vous aimez à le rappeler – souffre tant, nous avons la satisfaction que votre talent mette à l’honneur un Libanais. Avec vous, c’est au Liban tout entier que nous tenons à rendre hommage aujourd’hui.

Monsieur,
Vous êtes un enfant de la guerre
La guerre vous a pris à l’âge de 8 ans et n’a desserré ses griffes qu’à votre vingt-troisième année.
Elle vous a atteint jusque dans votre chair ; une balle est encore dans votre corps – fort sage heureusement – mais elle est un rappel permanent de l’épreuve que vous-même et votre famille avez vécue pendant quinze années.
Dans L’école de la guerre, récit autobiographique, vous écrivez : « Les enfants sont les premières victimes de la guerre et tout le monde s’en moque. Les adultes ont bien d’autres préoccupations en temps de guerre que les enfances et les insouciances confisquées ».
Que ces mots sont justes ! « Les insouciances confisquées » ! Vous écrivez d’ailleurs : « Ce que j’ai vécu, je le revis chaque jour, malgré moi : on ne sort pas indemne de la guerre !», faisant ainsi écho à ces mots de Louis-Ferdinand Céline placés en exergue de L’école de la guerre : « De la prison on en sort vivant, pas de la guerre. Tout le reste, c’est des mots ».
Ce que vous avez vécu, comment le traduire si ce n’est par la langue, par la littérature. Comment exprimer l’angoisse, le deuil, le traumatisme, l’humiliation si ce n’est par le récit, qu’il soit lyrique, tragique ou même humoristique ?
Un simple exemple : il faut passer de l’est de Beyrouth à l’ouest et donc franchir le pont, le « ring», comme on l’appelle, alors qu’il est, en permanence, surveillé par des francs-tireurs qui attendent patiemment leurs victimes.
Sur le tableau de bord de la voiture dans laquelle vous avez pris place, une chaînette garnie d’une pierre bleue pour conjurer le mauvais sort et une inscription : « Ne tarde pas, papa, nous t’attendons » ; au niveau du tuyau d’échappement est suspendu un petit soulier de bébé qui a appartenu à Rachid, premier enfant du chauffeur-propriétaire du véhicule, car les souliers des enfants éloignent le Mal, dit-on.
Vous êtes à côté de ce chauffeur qui vient de se donner du courage en avalant une rasade de whisky et qui se dit à lui-même, pour s’encourager « Fonce, Moussa, fonce ! ». En roulant très vite, il faut douze secondes pour arriver de l’autre côté. Elles peuvent être les dernières de l’existence. « Fonce, Moussa, Fonce », un coup de feu retentit, une vitre vole en éclats. Vous comptez « Huit, sept, six secondes avant la délivrance… », un deuxième coup de feu, la balle s’enfonce dans la carrosserie, un troisième coup de feu, il ne vous atteint pas, vous êtes arrivés. Vous êtes vivant. « C’est la Providence ! » dites-vous, « Non » réplique le chauffeur : « c’est le soulier à Rachid ».
C’est ainsi qu’au pays du Cèdre on traverse la vie : avec courage et foi. Et c’est ainsi que le Liban traverse les siècles.
La guerre, si intimement vécue, est la matrice de votre œuvre, même si cette œuvre s’est déployée dans des territoires très diversifiés. Et si on cherche un fil conducteur à cette grande diversité et à la grande ampleur de votre production, c’est celui de la valeur inestimable et toujours mise en péril de la liberté : liberté d’agir, de penser, de dire.
Mais qu’est-ce que la liberté ? Quelles en sont les limites ? Quels sont ses rapports avec la Justice ? Ces interrogations intéressent l’écrivain et aussi le grand juriste que vous êtes, digne héritier de votre père, l’illustre avocat, ténor du barreau de Beyrouth.
Car si vous êtes un écrivain prolifique qui a obtenu la bourse de l’écrivain de la Fondation Hachette à 23 ans, si vous avez été récompensé par un nombre important de prix dont le Prix Méditerranée et le Prix Hervé Deluen de l’Académie française, vous êtes aussi un avocat brillant qui a fait ses études à l’Université Paris II et à la Sorbonne, et a publié des ouvrages juridiques qui font autorité : « L’administration de la société anonyme libanaise » et « La garantie à première demande ».
Les magistrats et avocats beyrouthins vous ont d’ailleurs décerné le Prix du Palais littéraire. N’oublions pas l’importance qu’a eue l’Ecole de droit de Beyrouth à l’époque romaine ; le code de Justinien a probablement été rédigé là.
Votre réflexion sur la liberté dans un contexte où la violence d’Etat, la violence collective, s’oppose à la conscience individuelle, est particulièrement développée et approfondie dans les romans Berlin 36 et Harry et Franz.
Dans Berlin 36, vous faites voir avec habileté et subtilité comment s’est mis en place le système nazi ; il fonctionne déjà très bien lorsque l’Allemagne décide de se porter candidate aux jeux olympiques de 1936, dans le but de faire de cet événement une vaste opération de propagande qui permettra une reconnaissance internationale et masquera le réarmement du pays. En circonvenant, dès 1934, les membres du comité international olympique, souvent des gens insoupçonnables, le régime s’est assuré que les Jeux ne seraient pas boycottés. Et ce fut une grandiose mascarade.
Dans la foule des indifférents et des lâches, certains se distinguent par leur courage, tel ce jeune patron de café-concert et pianiste de jazz, Oskar, qui subira les pires souffrances, parce qu’il n’a pas voulu se taire : « On peut bâillonner la vérité, on ne peut pas la tuer » disait-il, continuant à accueillir des artistes qui jouaient une musique honnie par les autorités.
Vous ne craignez pas d’aborder la réalité historique par des voies originales, par des biais inattendus – ce qui est le propre de l’écrivain par rapport à l’historien – aidant ainsi le lecteur à penser, à éclairer sa perception des événements.
La façon dont les êtres se comportent dans les périodes troubles avec leur bassesse, leurs rancœurs, leurs ambitions et parfois leur grandeur, constitue la matière de Harry et Franz.
Dans ce roman bouleversant, vous faites vivre une complicité entre le grand acteur français des années 30, Harry Baur, et l’aumônier allemand des prisons françaises de la Santé, du Cherche-Midi et de Fresnes, l’Abbé Franz Stock.
Vous décrivez la descente aux enfers de Harry Baur, dénoncé par son ami le plus proche, et le combat subtil de l’abbé allemand pour secourir et peut-être sauver les prisonniers dont il est l’aumônier. Dans ses carnets, l’Abbé a écrit : « Le nombre de saints voulus par Dieu suffit à sauver une époque, des saints qui concilient leur attachement à leur patrie et l’amour de l’humanité, au-delà des frontières des nations, des pays, des races et des classes. C’est cet appel à la sainteté que la Providence nous fait entendre par la voix de l’Histoire. Il convient d’y répondre ».
Une question fondamentale, sur le conflit entre « attachement à la patrie » et amour de l’humanité est ainsi posée, question qui laisse le lecteur habité, inquiété.
En 2009 a été ouvert le procès en béatification de celui qu’on appelait autant « l’aumônier de l’enfer » que « l’archange des prisons ». Sur la Montagne Sainte-Geneviève, une plaque a été apposée là où il a vécu.
La liberté d’expression, et notamment d’expression artistique est si essentielle que sous le titre Le procureur de l’Empire, réédité sous le titre Le Censeur de Baudelaire, vous avez écrit une biographie passionnante d’un personnage que l’Histoire avait un peu oublié, Ernest Pinard, le magistrat qui sous le Second Empire persécuta tant d’écrivains dont Baudelaire, Flaubert et Eugène Sue.
Il est essentiel, écrivez-vous, de « ne pas oublier Pinard ». Force est de constater que ses épigones prennent des masques multiples mais qu’ ils sont toujours là.

J’ai dit que vous étiez un enfant de la guerre et, vous êtes, bien sûr, un enfant du Liban.

Dans Phenicia, vous faites revivre la grandeur de Tyr, de la Phénicie et des phéniciens, les inventeurs de l’alphabet. Dans cet ouvrage, à la fois roman et livre d’histoire, vous mettez bien en évidence l’importance de la civilisation phénicienne, son génie, sa capacité d’invention, ses liens étroits avec Carthage. Les Phéniciens sont pacifiques – ils ont su nouer des rapports avec tous les peuples de Méditerranée, ils ont atteint les côtes africaines et peut-être même celles de l’Amérique ; le débat est ouvert – Pacifiques, mais ils ont su tenir tête à Alexandre avec un héroïsme et un sens du sacrifice incroyables. La Phénicie a disparu mais pas les Phéniciens ; ils ont souvent trouvé refuge loin de leur terre et ensemencé le bassin méditerranéen de leurs talents. Vous nous apprenez d’ailleurs que Zenon, Zenon d’Elée, était d’origine phénicienne.
Entre les lignes, apparaît votre désir fervent de voir votre pays vivre un présent digne de son passé et l’on y trouve des réflexions qui valent pour le Liban d’aujourd’hui.
Les maux qui ont affaibli la Phénicie sont les mêmes que ceux qui affaiblissent le Liban actuel et menacent son unité. Votre pays a réussi à faire cohabiter des communautés différentes par leurs religions et leurs traditions ; réussira-t-il à vivre « comme un troupeau nourri ensemble dans le même pâturage sous une loi commune » ? C’est le vœu – o combien actuel ! – exprimé par le sage Zénon à la fin de votre roman. La grande histoire du Liban sera-t-elle un levain suffisant pour construire l’avenir ? Le monde entier tourne son regard vers le Liban ; ce grand pays qui condense sur son territoire bien des situations du monde de notre époque.

Ce passé, vous le faites revivre, tout au moins depuis le XIXème siècle, dans le roman historique qu’est Le roman de Beyrouth. Quel beau titre, et tellement juste ! Oui, l’histoire de Beyrouth est un roman avec ses personnages si attachants, ses héros, ses prédateurs, ses grandeurs et ses misères, et ses surprenantes métamorphoses.
La place des Canons ou place des Martyrs, qui sera elle-même martyrisée, joue un rôle central. Ce roman remarquablement construit s’ouvre par ces mots de Philippe, le narrateur, mots empreints de nostalgie et d’espérance : « Beyrouth m’habite. Elle est hors de l’espace et du temps. Elle fait partie de ces lieux que nul ne peut envahir. Comme le paradis ».

Beyrouth, ville tant aimée – comme l’ensemble du Liban d’ailleurs – qui vous a fait dire : « Je suis de ceux qui croient qu’on doit assumer son destin dans le pays où on est né ». Comme le cèdre, Beyrouth puise ses racines dans les strates de la terre et s’élève en respirant l’air du large. Je ne peux alors m’empêcher d’évoquer les dernières phrases du Silence du ténor. Alors que votre maison de campagne et son jardin ont été ravagés par un bombardement, un ami présente ses condoléances à votre père qui lui répond, levant l’index, « oui, mais le cèdre est resté debout » ; il s’agissait du cèdre qui avait été planté le jour de votre naissance.

Quant à votre Dictionnaire amoureux du Liban, paru en 2014, il se lit comme un roman. Il révèle non seulement la passion que vous nourrissez pour votre pays, mais aussi sa connaissance intime dans les domaines les plus divers, et Dieu sait si votre pays est riche de sa complexité même.
Romancier, nouvelliste, essayiste – vous avez notamment écrit, en deux volumes, un essai intitulé De Gaulle et le Liban – biographe – outre celle écrite sur Pinard, je pense aux biographies de Saint Jean-Baptiste et de Khalil Gibran – poète – vous avez édité six recueils de poésie et avez été lauréat du premier prix de poésie de la ville de Paris.
Vous êtes aussi un journaliste de premier plan qui a eu l’immense mérite de faire renaître L’Orient littéraire, le supplément littéraire de L’Orient-Le Jour. Vous avez fait de cette publication créée par Georges Schehade et Salah Stétié un grand journal littéraire qui joue un rôle majeur ; il est le phare de la francophonie libanaise.
Car vous êtes un militant convaincu de la francophonie ; vous avez été responsable des affaires francophones auprès de la ville de Beyrouth et au sein du barreau et vous parcourez le monde pour donner des conférences sur ce thème.
Alors que vous parlez l’arabe avec autant de finesse que le français, la langue française est celle que vous avez choisie dès l’âge de 9 ans pour écrie votre premier récit Bob en croisière, « une aventure de Bob le téméraire ».
Vous aimez cette langue pour les valeurs qu’elle porte et principalement pour celles « de liberté et de révolte » dites-vous. A 12 ans vous avez créé un journal entièrement rédigé à la main, et dont chaque numéro comptait une quarantaine de pages ; quelque 25 ans plus tard vous avez fondé le Prix Phénix de littérature. Entre-temps vous avez publié une vingtaine d’ouvrages et vous en avez publié presque autant depuis.

J’ai dit « enfant de la guerre », « enfant du Liban » mais vous êtes avant tout, enfant de vos parents « le ténor » et « Mimosa ».

Votre père, avec sa très forte personnalité, vous a beaucoup marqué. Il a été selon vos dires un « professeur d’espérance ». Dans Le silence du ténor, vous racontez que, à l’un des moments les plus critiques de la guerre alors que vous étiez tous dans les abris, vous avez vu arriver votre père avec une bougie et une pile de dossiers.
– Qu’est-ce que tu fais papa ? lui demandez-vous.
 Des dossiers à terminer, vous répondit-il en s’installant dans un coin de l’abri.
 Quels dossiers ? Le pays est dévasté. Il n’y a ni clients, ni tribunaux, ni juges, ni justice…A quoi bon ?
 Votre père hoche la tête et a ces mots magnifiques :
« Demain la paix viendra et je dois être prêt ».

Vous avez consacré un livre à votre mère qui aimait tant les fleurs ; elle portait bien le nom que vous lui aviez donné, Mimosa.
Dans L’école de la guerre, vous décrivez très poétiquement les mouvements de la flamme d’une bougie qui se consume et s’éteint. Ce poème en prose se clôt ainsi : « La bougie constitue peut-être l’exemple le plus frappant de la formidable générosité des choses et de la capacité de certains objets à aimer. Elle vit et meurt pour celui qu’elle éclaire. Est-il de plus beau témoignage d’amour » ?
A travers cette belle métaphore, c’est votre mère qui nous apparaît.

Etre prêt, toujours, à aimer, selon l’exemple de votre mère et à servir : votre famille, votre pays, vos frères en humanité. C’est bien vous.
C’est donc avec émotion que je vais voir le chancelier Gabriel de Broglie, président d’honneur, vous remettre maintenant la Médaille d’or 2020 que La Renaissance Française vous a décernée pour l’ensemble de votre œuvre.
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Discours de M. Gabriel de Broglie, de l’Académie française, chancelier honoraire de l’Institut de France, président d’honneur de La Renaissance Française

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Monsieur,
Nous ne nous étions pas rencontrés jusqu’à maintenant, mais je vous ai lu, cher Alexandre Najjar.
Je suis impressionné et heureux d’intervenir au nom de La Renaissance Française, pour honorer un homme exceptionnel pour ses grandes qualités personnelles, par la place qu’il occupe au sein de son pays et de la francophonie, et pour honorer un pays également exceptionnel qui traverse des circonstances tragiques au cours d’une longue période de dérèglement.
Cette cérémonie a pour nous une grande importance parce qu’elle a pour héros une personnalité d’envergure et qu’elle est l’occasion d’exprimer notre attachement à un pays qui nous est cher, en présence de Son Excellence Monsieur l’Ambassadeur du Liban.
À l’énoncé de votre parcours impressionnant, je me demande si l’ayant commencé tôt, vous n’avez pas déjà dépassé l’âge des distinctions reçues, pour rentrer dans celui des honneurs.
Vous êtes né amoureux de la langue française. Vous avez été un enfant poète. Vous avez parcouru tous les champs de la création littéraire et audiovisuelle. Vous écrivez en deux langues maternelles, ce qui n’est pas fréquent, même au Liban.
Vos activités couvrent bien d’autres domaines : celui de la culture, du droit, de l’administration, du journalisme, du mécénat. Militant de l’indépendance du Liban et d’une francophonie ouverte, vous oeuvrez pour un dialogue des cultures, mais aussi pour la qualité de la langue française.
Vous êtes sévère à l’égard des élites françaises. Nous aussi, je puis vous l’assurer.
L’un de vos derniers livres est « Le Dictionnaire amoureux du Liban ». C’est un dictionnaire, et non des notes de parcours, complet comme il se doit, érudit à l’ image de votre culture, conçu comme un pèlerinage, comme une anthologie, comme un autoportrait aussi.
Vous signalez plusieurs fondements originaux qui m’ont frappé : l’actualité de l’ascendance phénicienne, l’importance sociale de la poésie, l’éducation comme socle national.
Mais c’était avant le drame qui a transformé le dérèglement en détraquement. Nous avons apprécié que Le Président de la République française se soit porté aussitôt sur la terre même du Liban pour offrir le concours de la France en faveur de la reconstruction, du redressement et des réformes, avec l’accord de l’opinion en France, conformément à la prédilection toujours affirmée de notre pays pour le Liban.
Mais qui peut gérer le redressement et appliquer les réformes ? Nous assistons tous à ce moment crucial avec beaucoup d’inquiétude, d’attention et d’espoir, car nous avons une relation toute particulière avec votre pays, sa diversité, sa complexité, son ouverture, son accueil. Chacun avec ses clés.
Je citerai quelques-unes des miennes qui pourraient rencontrer les vôtres :

– Armand du Chayla, rencontré dans un cercle familial et à l’Union, une figure !
– Louis Delamare, qui m’a reçu plusieurs fois à la Résidence des Pins, avant le drame !
– L’URTI, Université radiophonique et télévisuelle internationale : un organisme que nous avions créé avec Jean d’Arcy pour distribuer gracieusement les bonnes émissions de la télévision française aux pays qui souhaitaient les diffuser. Le Liban en a été le plus grand bénéficiaire.
– grâce à plusieurs séjours par an à Beyrouth, pendant 5 ans, Camille Aboussouan, ambassadeur érudit et grand bibliophile membre de la société des bibliophiles français,
– Salah Stétié, cher ami et collègue de la commission générale de terminologie pendant 10 ans,
– Amin Maalouf à côté de qui je siège à l’Académie française, cet après-midi encore.
C’est vous dire que, pour chacun d’entre nous, la cérémonie d’aujourd’hui ravive des affinités auxquelles nous tenons beaucoup.
Monsieur, cher Alexandre Najjar, vous illustrez le Liban, vous êtes un pont entre le Liban et la France, vous êtes un auteur français et un acteur majeur de la francophonie.
J’ai maintenant l’honneur de vous remettre la Médaille d’or de La Renaissance Française pour l’ ensemble de votre œuvre.

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Allocution d’Alexandre Najjar

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M. le Chancelier,
M. le Président international,
M. le Secrétaire Perpétuel,
M. l’Ambassadeur du Liban en France,
Mesdames et messieurs,
Chers amis,

Je suis très honoré et ému de recevoir la médaille d’or de La Renaissance Française.

Cette récompense est symbolique à plus d’un titre :

– d’abord, parce qu’elle m’est remise à l’heure où le Liban d’où je viens traverse une crise sans précédent dans l’histoire de cet Etat qui fête cette année son centenaire. Cette médaille d’or représente une nouvelle reconnaissance de l’apport du Liban à la francophonie et à la littérature, et une confirmation de son rayonnement culturel en dépit des vents contraires.
Le 4 août dernier, ma ville natale, Beyrouth, a été détruite par une explosion d’une violence inouïe qui a causé la mort de 200 personnes et blessé 6000 concitoyens, sans compter les milliers de maisons détruites. A ma ville ravagée je voudrais dédier la médaille que je reçois aujourd’hui. Je voudrais lui faire part de mon amour et de ma fidélité, lui dire qu’elle connaîtra bientôt la Renaissance, et qu’elle se relèvera certainement parce qu’elle a toujours été courageuse et digne – elle l’a prouvé pendant les 15 années de guerre qui l’ont meurtrie et coupée en deux à la manière de Berlin avant la chute du Mur. Beyrouth est irremplaçable. La poétesse Nadia Tuéni l’a bien affirmé dans ce vers : « Beyrouth est en orient le dernier sanctuaire où l’homme peut toujours s’habiller de lumière » !

– La réception de cette médaille d’or est aussi pour moi un encouragement parce qu’elle couronne mon travail assidu comme écrivain et responsable de L’Orient littéraire, et mon engagement depuis plus de 35 ans au service de la culture et de la langue française. A Stockholm où je me trouvais il y a quelques jours, j’ai répété devant les étudiants suédois pourquoi j’ai choisi cette langue, comment j’en suis tombé amoureux comme on tombe amoureux d’une femme, pourquoi elle mérite qu’on se batte pour elle, et qu’elle est porteuse d’une tradition de liberté, de Voltaire à Sartre en passant par Montaigne, Montesquieu, Hugo, Lamartine ou Camus, et de valeurs républicaines auxquelles je suis si profondément attaché que l’écriture en français est devenu pour moi plus qu’une passion, une revendication existentielle.

J’aimerais ajouter que l’idée de « Renaissance » m’a toujours enthousiasmé. A Stockholm, une essayiste m’a offert un livre en suédois intitulé « Les rebelles de la Renaissance ». Toute renaissance a en effet besoin, pour prospérer, de rebelles et de militants qui arrachent ce que Khalil Gibran appelait « les dents avariées » et restaurent ce qui est abîmé ou corrompu pour faire évoluer l’humanité. En France, comme au Liban, nous avons besoin d’écrivains, d’intellectuels, d’artistes aux idées neuves pour repenser le monde et redéfinir les priorités à l’heure où la pandémie est venue nous donner des leçons d’humilité et de sagesse en nous rappelant la nécessité de préserver la santé publique et l’environnement, et l’importance de développer l’intelligence humaine, la solidarité et l’empathie au lieu de laisser l’intelligence artificielle dominer notre civilisation.

A la fin du XIXe siècle, une renaissance arabe, baptisée Al-Nahda, est venue dépoussiérer la culture et la langue arabes. J’estime qu’une nouvelle Nahda est indispensable aujourd’hui dans ce monde arabe désuni, sclérosé, miné par l’obscurantisme le laisser-aller, la corruption et le totalitarisme de certains régimes. Elle est également nécessaire au niveau de la francophonie qui, en réunissant les pays ayant la langue française en partage, constitue selon le mot du président Charles Hélou qui en fut l’un des piliers, « un merveilleux instrument de dialogue interculturel ». La francophonie n’est ni une coquille vide ni une vue de l’esprit. Elle correspond à une réalité tangible, mais elle a besoin, pour mieux relever les défis de notre siècle et accompagner la croissance démographique en Afrique francophone, de se doter de moyens plus conséquents et d’une stratégie plus offensive.
En recevant cette médaille d’or de La Renaissance Française, je formule le vœu que cette double renaissance, arabe et francophone, puisse bientôt voir le jour afin que la diversité culturelle, dans le respect des identités, jugule la mondialisation sauvage qui entend imposer au monde une pensée unique véhiculée par une langue unique.

Je souhaite, pour conclure, remercier chaleureusement les membres du jury, et exprimer toute mon amitié au Dr Fadi Comair qui n’a pu être parmi nous ce soir et à Ibrahim Tabet, président de la Délégation de La Renaissance Française au Liban.

Tous ensemble, je l’espère, nous poursuivrons notre combat pour la culture et le rayonnement de la France et du Liban, ces deux pays frères qui ont inspiré au général de Gaulle ces phrases révélatrices : « Dès lors qu’existent entre le Liban et la France tant de liens plus forts que jamais : traditionnelle amitié, culture en grande partie commune, identique volonté d’agir autour de soi et partout ailleurs pour le progrès et pour la paix, tout engage ces deux Etats à nouer dans maints domaines une coopération étroite et plus active… ».

Je vous remercie.

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