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LIBAN – Un article d’Ibrahim Tabet : Où va le soulèvement libanais ?

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Où va le soulèvement libanais ?

Déclenché le 17 novembre le formidable soulèvement de la population libanaise a fait naître un immense espoir de changement, contrastant avec l’aveuglement et les divisions de la classe politique corrompue accrochée au pouvoir, ce qui fait qu’il est difficile d’en prévoir la fin et les conséquences.

Les causes du soulèvement sont à la fois structurelles et conjoncturelles, politiques, économiques, financières et sociales.

Au niveau structurel le système politique confessionnel a certes permis une coexistence et le vivre ensemble entre les communautés. Mais il a par-contre entravé l’émergence d’une véritable citoyenneté et favorisé la corruption, le clientélisme et le partage du gâteau entre les leaders communautaires. Enfin, il empêche l’exercice d’une justice indépendante et le devoir de rendre compte.

Il ne faut cependant pas jeter le bébé avec l’eau du bain et son abolition totale entraînerait la dictature de la majorité musulmane au détriment des chrétiens.

Une voie moyenne serait l’instauration d’un Sénat représentant à égalité les chrétiens et les musulmans à côté d’une Assemblée non-confessionnelle où les députés seraient élus sur la base de petites circonscriptions et d’un scrutin uninominal (et non de liste comme présentement). Cette réforme devrait s’accompagner d’un statut civil laïc et d’une décentralisation administrative.

Au niveau économique et financier, la politique monétaire suivie jusqu’ici par la banque centrale en collusion avec les banques et l’oligarchie politique et d’affaires a contribué à la crise actuelle. Consistant à maintenir artificiellement le taux de change de la livre libanaise et à offrir des taux d’intérêt de plus en plus élevés aux déposants afin d’attirer les capitaux étrangers, elle a surtout servi à financer une dette publique insoutenable et un service public hypertrophié et inefficace au détriment des investissements productifs et du secteur privé. Jusqu’à ces dernières années les flux de capitaux provenant en grande partie de la diaspora étaient suffisamment élevés pour maintenir à flot le système. Mais leur baisse amplifiée par la fuite des capitaux et le manque de confiance a creusé le déficit de la balance des paiements. Tandis que le déficit budgétaire, causé par le service de la dette et une politique irresponsable de recrutement et d’augmentation des salaires, se maintenait à un niveau élevé (autour de 9% du PIB en 2018).

Cette politique et une corruption endémique a eu des conséquences catastrophiques au niveau social qui se traduit par un creusement des inégalités et un appauvrissement des classes moyennes et populaires. Sans compter le délabrement des services publics et des infrastructures malgré une dette publique colossale.

Il est douteux que le plan de réformes proposé par le gouvernement sortant, à supposer qu’il soit mis en œuvre, ne suffise à enrayer l’hémorragie et à redresser la situation. Et une dévaluation de la livre est sans doute inévitable d’ici à quelques mois. Elle aurait pour effet d’éponger une grande partie de la dette publique libellée en monnaie locale. Et un autre effet positif serait une baisse des taux d’intérêts bénéfiques au secteur privé à moyen terme. Mais, à moins que les donateurs étrangers ne volent au secours du pays – ce qui est conditionné par la nomination d’un gouvernement crédible – ses conséquences à court terme seront dramatiques : faillites probables de banques et d’entreprises, inflation, chômage, baisse drastique du pouvoir d’achat des fonctionnaires dont le salaire est payé en livre libanaise, enfin plus grave encore : risque d’une explosion de violence.

Les seules notes positives dans ce tableau sont le caractère pacifique et le civisme des manifestants et surtout l’extraordinaire élan d’unité nationale transcendant les clivages communautaires dont ils ont fait preuve.

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