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PARIS 10 octobre : remise de la médaille d’or 2019 pour l’ensemble de son oeuvre à l’écrivain Metin Arditi

par Internet - Site

C’est sous les fresques de l’hôtel particulier qui abrite la fédération Maginot que l’écrivain Metin Arditi a reçu des mains du Chancelier Gabriel de Broglie, de l’Académie française, Président d’honneur de notre institution, la médaille d’or de La Renaissance Française pour l’ ensemble de son œuvre.

Né en Turquie et vivant à Genève, Metin Arditti succède à l’Algérien Boualem Sansal, à l’Ecossais Kenneth White, au Belge Jacques De Decker, au Grec Vassilis Alexakis et au Japonais Akira Mizubayashi. Son œuvre abondante et passionnante nourrit une réflexion profonde et subtile sur les mystères de l’âme humaine, la filiation, les religions monothéistes et la place prépondérante de l’art dans l’élévation de l’esprit. Le président international Denis Fadda a rendu un hommage très émouvant à l’auteur du « Dictionnaire amoureux de l’esprit français ».

Discours du Président International Mr Denis FADDA

Monsieur,

Vous êtes né à Ankara, d’une famille installée en Turquie depuis le XVème siècle. Une de ces familles qui, après une installation dans l’est de la Bulgarie ottomane, a fait la richesse de cette Constantinople cosmopolite qui nous fait encore rêver.

Vous êtes né dans ce pays mais y avez fort peu vécu puisque à sept ans déjà vos parents vous ont mis en pension en Suisse, et que la Suisse est devenue votre pays de résidence permanente.

La Turquie que vous avez peu habitée vous habite pourtant toujours; elle n’est jamais loin. Je crois qu’il n’est pas un de vos ouvrages qui n’y fasse référence directement ou indirectement. Même dans La confrérie des moines volants, livre dont l’action se passe très largement en Russie, en France aussi, on y trouve une icône, une Vierge à l’enfant que vous dites « probablement peinte par un Grec de Constantinople qu’on aurait vu rôder au Bazar comme mendiant… »

Le Bazar ! le fascinant bazar de Constantinople est particulièrement présent dans Le Turquetto ; dans un monde de misère, un monde dur, peuplé de marchands d’esclaves, de portefaix et de mendiants, on y croise des personnages fort attachants tels que : Zeytine le cul-de-jatte, Djelal, le fabriquant d’encres.

Djelal l’un des deux pères spirituels d’Elie, le personnage principal ; Elie qui sous le nom de Turquetto deviendra un peintre sublime . A Venise, le Nonce apostolique, bouleversé par ses œuvres, s’exclamera : « Observe les personnages du Turquetto… Que lis-tu sur leurs visages ? L’amour ! La charité ! Et surtout cette qualité que personne ne donne plus aux saints : cette imperturbabilité (…), cette manière de dire à chacun : ‘C’est toi que j’attendais’ ».

La relation avec le père, qu’il soit le père naturel ou le père spirituel, a une place importante dans votre œuvre avec son lot de questions. Le fils est-il à la hauteur ? N’a-t-il pas trahi ? A-t-il su demander pardon ?

La relation entre votre père et vous-même a été complexe. « Pour votre bien » disait-il, il vous a éloigné du cocon familial ; entre sept et dix-huit ans vous n’êtes revenu en Turquie qu’une seule fois. A l’exception d’un mois d’été, en Europe, en compagnie de votre mère, les vacances scolaires vous les passiez en pension. Certes, votre père vous rendait visite assez souvent, mais ces visites étaient rapides, il y avait peu d’échanges entre vous. Le personnage du pasteur dans « Carnaval noir » nous fait un peu penser à lui. Vous n’avez vraiment fait sa connaissance que lors de ses obsèques, à travers les mots du rabbin.

S’il vous a peu interrogé et peu parlé, votre père vous a cependant donné bien des occasions de l’admirer.

A l’origine de votre admiration, il y a cette scène que vous rapportez dans Mon père sur mes épaules, et dont vous parlez aussi dans La Chambre de Vincent, au cours de laquelle votre gouvernante autrichienne catholique, qui, chaque dimanche, vous emmène avec elle à la messe, lui demande si elle peut vous faire réciter le « Notre Père ». Votre père veut entendre la prière.

Après l’avoir attentivement écoutée, il dit : « C’est beau, vous pouvez le dire ».

Vous êtes marqué par cette réponse. A partir de ce jour-là, vous admirez ce père qui a essayé de comprendre non de juger.

Au lieu de juger, votre père s’est renseigné ; ce qui est rare en ce domaine et en cette époque. Cette attitude intelligente et généreuse a constitué, pour vous, un enseignement. Et vous avez reçu de ce père bien d’autres enseignements.

Vous n’avez vraiment connu votre père que le jour de ses funérailles, disais-je ;vous avez été contrarié dans votre amour filial et ceci a marqué votre vie. Il vous a fallu vous endurcir mais la relation parents-enfants et la filiation sont demeurées dans votre œuvre des questions centrales.

Dans La Fille des Louganis, Pavlina ne découvre qu’à la mort de sa mère que le père qu’elle a tant aimé n’était pas son père biologique ; elle-même vivra avec la douleur de n’avoir jamais connu l’enfant qui lui a été retiré à la naissance. Partout, elle croira le voir.

Dans Le Turquetto, Elie ne connaît pas sa mère morte en couches ; il est issu d’un père avec lequel il n’a pratiquement pas de relations et qui est fort peu estimable ; il se cherchera des pères ; il en trouvera deux.

Dans L’Enfant qui mesurait le monde, le père de Yannis, séparé de sa mère, est peu présent ; Yannis se trouvera un père de substitution.

Dans La confrérie des moines volants, Mathias découvre bien tard quelle est sa véritable ascendance.

Dans « Carnaval noir », le Cardinal Valsangiacomo n’est pas le fils de ses parents ; fruit des amours de Pietro Bembo et de Lucrèce Borgia, il est un enfant adopté.

Vos livres sont une quête, et souvent prennent la forme d’une enquête. Dans La confrérie, il y a, à la fois, la recherche des œuvres cachées et celle de la filiation ; dans L’enfant qui mesurait le monde, il y a l’énigme de la construction de l’amphithéâtre, l’énigme du raisonnement d’un enfant autiste et, par dessus tout, l’énigme de l’amour ; énigme de l’amour qui est l’alfa et l’oméga de tous vos romans.

Le livre Le Turquetto s’ouvre sur le regard que Elie enfant, sans doute proche de l’adolescence, porte sur ce père malade et dégradé ; je cite : « Soudain, il leva son regard. Ses yeux se firent durs comme deux billes noires, ses traits se tendirent et durant une dizaine de secondes il scruta son père avec férocité ». Mais ce fils, qui a la passion du dessin, pense au portrait de lui qu’il va tracer où il lui donnera la dignité qu’il n’a pas. Le livre se ferme sur une visite au cimetière où Elie se rend, à peine revenu de son très long séjour à Venise. Devant la tombe de son père, il « pleure avec un désespoir d’enfant », dites-vous, et se demande comment il va pouvoir lui demander pardon ; il va prendre son crayon et faire son portrait.

Dans Mon père sur mes épaules, après avoir exprimé un certain nombre de reproches, vous vous adressez à votre père et admettez que vous resterez son débiteur, « Car, il y a un temps pour tout, n’est-ce pas ? » lui écrivez-vous :

« Un temps pour t’aimer plus que tu ne pourrais l’imaginer. Pour t’admirer. Te vénérer. »

« Un temps pour te retrouver dans mes rêves et constater avec une joie immense qu’enfin tu me parles avec estime, et même avec douceur »

« Un temps pour croire qu’entre nous la paix est venue »

« Un temps pour te dire combien je t’ai aimé et admiré, combien j’ai attendu ton estime. Et combien tu m’as déçu »

« Un temps pour te dire que tu étais un père imparfait mais si délicieux »

« Et un temps, enfin, pour t’embrasser tendrement, mon papa tant aimé »

En fait, votre père vous a beaucoup donné. Il se pourrait bien que ce soit l’éducation que vous avez reçue qui ait favorisé votre grande réussite. Vous êtes un physicien spécialisé en génie atomique, un chercheur. Vous avez enseigné la physique, l’économie, la gestion et même l’écriture romanesque. Vous avez créé la « Fondation Arditi » qui accorde des prix à des étudiants et a notamment offert à l’Université de Genève un cinéma classé monument historique, devenu aujourd’hui l’Auditorium Fondation Arditi, vous avez présidé, durant une quinzaine d’années, l’Orchestre de la Suisse romande, vous co-présidez la fondation « Les instruments de la paix-Genève » que vous avez voulue et dont la vocation est de rapprocher Israéliens et Palestiniens par la musique. Vous êtes envoyé spécial de l’Unesco pour le dialogue interculturel. Votre œuvre, extrêmement importante, compte tant des romans, des récits que des essais – notamment sur La Fontaine, Machiavel et Nietzsche – qui ont reçu bien des prix. Les lecteurs du quotidien La Croix ont le plaisir de lire, chaque lundi, la chronique que vous y tenez.

Votre père vous a, sans doute, beaucoup donné mais, peut-être sans le savoir, vous a-t-il aussi enseigné.

Par quelques mots : « Les livres c’est autre chose », il vous a indiqué la place de la littérature. Il vous a signifié qu’elle devait être située au-dessus de tout. Le jour où il a prononcé ces mots, il a peut-être fait naître une vocation d’écrivain.

Par ailleurs, il vous a enseigné la mesure et la nécessité de rechercher toujours la vérité.

Lors des obsèques de votre père, le rabbin, évoquant la parabole de la balance, conclut son éloge funèbre en disant que « le Juste veille à toujours se trouver en situation de parfaite exactitude ». En effet, dans toutes situations votre père, jamais excessif, faisait preuve de mesure.

Les paroles du rabbin, l’exemple de votre père, ont profondément marqué votre mémoire. Vous avez l’obsession de la justice, de la justesse, de la mesure juste, de l’honnêteté, de la vérité que vous recherchez sans cesse.

Dans La Chambre de Vincent, vous exprimez toute votre admiration pour Van Gogh dont vous dites qu’il est « aux antipodes de tout pittoresque, (il) cherche la vérité ».

Dans vos ouvrages, vous veillez à ne servir à vos lecteurs que la vérité, ce qui vous oblige à des recherches documentaires extrêmement approfondies et, par ailleurs, à une obsession de l’exactitude dans le choix des mots et la tournure des phrases, qui doivent être au plus près de ce que la pensée veut exprimer. Il s’agit d’être juste dans tous les sens du terme ; il n’y a chez vous aucune complaisance, nulle forme de séduction.

Cet absolu besoin de vérité et d’extrême précision vous amène souvent à recourir aux chiffres, aux mathématiques. Avec vous les poids sont exacts. Ce qui vous conduit à la crainte, quasi obsédante, de la trahison. Comment ne pas trahir sa religion, sa culture ? Comment ne pas trahir son père? Comment ne pas trahir ceux que nous aimons et que, en réalité, nous connaissons si peu ? Chaque être est une énigme et porte un secret.

Tout naturellement, naissent sous votre plume des personnages tout à fait hors du commun, bouleversants, presque sans tâches. Frère Nikodime, dans La confrérie, Pavlova dans La Filles des Louganis, Elie dans Le Turquetto, Yannis dans L’enfant qui mesurait le monde, par exemple.

Elie, Le Turchetto, est pauvre, il jouit d’un don exceptionnel plus grand que lui, il a une mission à accomplir. Son père génétique, juif, reste insaisissable ; il a deux pères spirituels, l’un chrétien, prêtre, et l’autre musulman, artiste. Il sera fidèle à tous trois ; né juif, il approchera la foi chrétienne à Venise et la foi musulmane à son retour à Constantinople , il ne renie pas son amour, il se livre sachant qu’il sera trahi ; sur l’échafaud il subit les injures, les sarcasmes, les crachats ; il sort du tombeau.

Yannis, enfant autiste, est innocent, sans péché, il souffre. A la fois fils d’un père naturel et d’un père spirituel et d’une mère qui incarne l’amour, le don, il déchiffre les signes, il fait des miracles, il sauve l’île, il restaure l’ordre du monde.

Elie et Yannis sont des héros christiques.

Vous avez écrit des essais remarquables ; je pense notamment à votre essai sur La Fontaine Mon cher jean…De la cigale à la fracture sociale, mais un jour vous avez réalisé que le roman, qui transforme la théorie en récit, est un genre plus profond et plus complet que l’essai ; il implique le lecteur. Vous avez eu raison, car vous êtes un conteur, vous enchantez le lecteur non seulement par les personnages merveilleux que vous créez – des êtres qui ont de la grandeur d’âme – par les sujets profonds que vous abordez, mais aussi par les mots que vous utilisez, par le charme de votre style.

Il faut dire que votre amour de la langue française est grand. Il vous rend d’autant plus exigeant à l’égard de vous-même. Dans le merveilleux Dictionnaire amoureux de l’Esprit français, votre ouvrage le plus récemment publié et dont on aimerait parler longuement, vous écrivez : « Je suis né dans un pays où la France n’a jamais été une puissance coloniale ou mandataire (…). Et où, pourtant, sa présence était exceptionnelle. Le français flottait avec une nonchalance gracieuse sur les rives du Bosphore. Chacun le parlait. Par quel miracle ? Je ne sais pas. ».

Votre père parlait turc, allemand, ladino et grec, votre mère turc et ladino ; pourtant, chez vous, la langue commune était le français. Vous dites : « Le français n’incarnait pas seulement un pays. Il était la vérité, le juste. Il était pour nous tous la langue paternelle ». Vous écrivez aussi : « Le français était notre refuge ».

La beauté de votre langue, son charme, sont le juste reflet de ce que vous avez perçu dans votre enfance ; elle nous enthousiasme, nous transporte ; aussi suis-je extrêmement heureux que La Renaissance Française ait décidé de vous accorder sa médaille d’or 2019 pour l’ensemble de votre œuvre.

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