La Francophonie dans le bassin méditerranéen. Combat linguistique d’arrière-garde ou vecteur culturel d’avenir ?

Par Nada Nassar-Chaoul

Professeur à la Faculté de droit et des sciences politiques de l’Université Saint-Joseph de Beyrouth

Présidente de la Délégation de La Renaissance Française au Liban

Vice-Présidente du Groupe-Liban de l’Association Henri Capitant des Amis de la Culture Juridique Française

Introduction : Généralités

Dans une intervention prononcée à l’Assemblée nationale à Paris en 2009, Alexandre Najjar, le romancier libanais bien connu, francophone fervent, Grand prix de la Francophonie 2020, Médaille d’or de La Renaissance Française pour l’ensemble de son oeuvre, affirmait d’entrée de jeu : « Disons-le tout de suite : la francophonie n’est ni une vue de l’esprit, ni une coquille vide ». Et il poursuivait : « elle n’est ni un avatar du colonialisme ni un instrument d’hégémonie impérialiste. »

Voilà donc ce que n’est pas la francophonie, ce qu’elle ne devrait pas être, l’image qu’elle devrait éviter de véhiculer dans l’opinion publique, celle d’une ex-grande puissance coloniale qui sortie des territoires qui étaient sous son autorité par la porte (la porte de la décolonisation), chercherait à y pénétrer à nouveau par la fenêtre (la fenêtre de la Francophonie). Cela pour paraphraser un dicton populaire libanais, « sortir par la porte pour surgir par la fenêtre ».

Pour notre part, l’esprit libre et loin de ces craintes relevant de réflexes dépassés d’ex-dominés, nous nous proposons, au cours de cette communication, de présenter la Francophonie dans le bassin méditerranéen non pas dans une optique frileuse dans laquelle elle aurait à s’excuser d’être ce qu’elle est, ce qu’on a pu appeler dans le Figaro « le piège de la repentance et de la détestation de soi », mais dans une optique résolument positive, constructive, et pourquoi pas fière de ce que la Francophonie a déjà pu réaliser dans cette belle et diverse région du monde, sur le plan linguistique, éducatif, culturel et humain.

Pour ce faire, je me propose d’aborder le sujet par la définition étymologique et conceptuelle de la Francophonie, avant d’exposer les diverses interprétations et controverses qu’elle a pu susciter, entre sa qualification de combat d’arrière-garde, fondée sur une conception étroite, purement technique et linguistique de la francophonie et sa qualification plus large de vecteur culturel d’avenir, fondée sur une conception humaniste universelle de la Francophonie. Je ne manquerai pas, par la suite, d’exposer les défis que pose, à l’heure actuelle, l’intelligence artificielle à la francophonie et aux valeurs humanistes qu’elle véhicule. C’est seulement après cela que je m’intéresserai à la Méditerranée, puis aux spécificités de la Francophonie dans le bassin méditerranéen, aux problématiques actuelles qu’elle suscite dans cet espace géographique et à ses perspectives d’avenir.

1-Etymologie et diverses conceptions du mot « francophonie »

Le terme « francophonie » est apparu, pour la première fois, en 1880, bien plus tôt qu’on ne l’aurait pensé, c’est à dire avant la décolonisation française qui elle, n’a débuté que pendant la Seconde Guerre mondiale avec l’indépendance de deux territoires qu’on dénommait alors les Etats du Levant, le Liban et la Syrie. Pour certains, comme l’historien Youssef Mouawad, on peut faire remonter la francophonie en Méditerranée plus loin encore, à la loi française de 1905 de séparation de l’Eglise et de l’Etat. En effet, après cette loi, beaucoup d’ecclésiastiques et de membres de congrégations religieuses mis à l’index et n’étant plus rémunérés par l’Etat français ont pris le chemin de l’exil et se sont installés, en tant que missionnaires, dans de nombreux territoires en Orient et dans le bassin méditerranéen, en Grèce, en Turquie, mais aussi à Lattaquié, Alexandrie, Tripoli et Beyrouth, portant avec eux la francophonie aux peuples de cette région du monde. Cela atteste, s’il en était besoin, ce qui avait été précédemment dit : que la francophonie n’est guère un avatar du colonialisme ou de la décolonisation. Cela, même si l’ancien président du Sénégal et, par ailleurs, poète, Léopold Senghor, aimait à répéter : « Dans les décombres du colonialisme, nous avons trouvé cet outil merveilleux, la langue française »

Le mot « francophonie » est né sous la plume du géographe français Onésime Reclus. C’est une ironie linguistique du destin que le père d’un mouvement comme la francophonie, voué à une expansion des plus larges à l’échelle mondiale, s’appelle M. Reclus ! M. Reclus donc, l’avait employé pour désigner, tout bonnement, les espaces géographiques dans lesquels la langue française était parlée.

A l’heure actuelle, on se doit de distinguer la francophonie (f minuscule) de la Francophonie (F majuscule). La francophonie (f minuscule) est simplement définie comme un état de fait dans lequel « des femmes et des hommes partagent une langue commune, le français ». Quant à la Francophonie (F majuscule), il s’agit d’un dispositif institutionnel visant à promouvoir la langue française et à mettre en œuvre une coopération multilatérale politique, éducative, économique et culturelle au sein des 88 Etats et gouvernements de l’Organisation internationale de la Francophonie ou OIF. Cette Francophonie institutionnelle embrasse tous les défis de notre temps : le développement durable, le changement climatique, la solidarité, les technologies numériques, l’insertion professionnelle des jeunes, l’égalité hommes-femmes, etc. A ces champs d’action originels, se sont ajoutés, par la suite, des domaines plus généraux et plus politiques, à caractère international et universel, comme le dialogue des civilisations, les libertés et les droits de l’homme, la paix et la démocratie.

Il y a donc lieu, pour la juriste que je suis, de distinguer, en matière de Francophonie, le fait de l’acte, ou une situation de fait subie d’une action délibérée voulue. La distinction juridique du fait et de l’acte se fonde, en effet, sur le caractère involontaire du premier qui est une circonstance existante et subie dont le Droit tire des effets juridiques. Ainsi, un accident de la circulation est un fait dont résultera un effet juridique, par exemple, la responsabilité du conducteur du véhicule. Alors que l’acte, lui, est volontaire, c’est une manifestation de volonté délibérée qui aura des conséquences juridiques. Par exemple, un contrat est un acte voulu dont naîtront des obligations juridiques à la charge des deux parties.

Cette distinction d’origine juridique appliquée à la Francophonie donne ce qui suit :

  • Le fait, c’est que la langue française est, à l’heure actuelle, parlée par plus de 320 millions de personnes dans 112 états ou territoires dans le monde. Cette situation est due à des facteurs historiques, dont la fameuse « mission civilisatrice de la France » qui a imposé le français comme langue officielle de l’Administration française dans les colonies et les pays sous Mandat français, comme le Liban. Elle est conçue et explicitée par le maréchal Lyautey (1854-1934) qui fut, par ailleurs, Président d’honneur de La Renaissance Française, comme étant un devoir patriotique et une obligation morale et humaniste à l’égard des peuples sous autorité française. Que l’on soit d’accord ou pas avec cette conception, qu’on la considère comme dépassée ou pas, toujours est-il qu’il s’agit bien là d’un fait incontournable, l’usage du français dans de multiples territoires dans le monde. On aurait pu en rester là : c’est-à-dire que la langue française aurait pu, soit être utilisée comme langue de l’administration et du commerce dans les seuls pays dont la langue, comme par exemple, le malgache à Madagascar, ne permet pas de parler au monde et de faire du commerce. Soit, elle aurait pu persister dans des pays autrefois sous autorité française, surtout auprès de certaines personnes âgées ou de vieux lettrés, comme une sorte de « Club culturel », de legs charmant mais désuet, plus très utile, mais somme toute, pas nocif. C’est le cas d’autres langues dont l’usage plonge aussi ses racines dans l’histoire coloniale, comme l’italien ou le néerlandais, qui n’ont pas connu l’essor culturel remarquable de la langue française.
  • L’acte, c’est la volonté des francophones, personnes privées, groupes, institutions publiques et privées, Etats, gouvernements et autorités politiques, de faire de l’usage de la langue française bien plus qu’un instrument linguistique, un véritable vecteur intellectuel et valoriel d’une culture déterminée. Laquelle ? Celle de la patrie des Lumières, des libertés et des droits de l’homme. D’où les diverses actions et institutions de la francophonie : si chronologiquement la première initiative francophone institutionnelle est celle de La Renaissance Française fondée en 1915 par le Président Raymond Poincaré, elle sera suivie de beaucoup d’autres, toutes issues de la volonté de perpétuer celle-ci et d’œuvrer à son essor dans tous les domaines de la culture. Cela se fera à travers la création d’institutions permanentes, telles que : l’Assemblée parlementaire de la Francophonie APF, l’Agence universitaire de la Francophonie AUF, TV5Monde et l’Association internationale des Maires francophones AIMF.

Dès lors, peut-on encore qualifier la francophonie de combat linguistique d’arrière-garde ?

2-La francophonie, combat linguistique d’arrière-garde ?

Philippe Van Parijs, professeur d’éthique économique et sociale,  déclarait il y a vingt ans déjà, en 2004, que si l’on voulait démocratiser la communication à l’échelle européenne, il était impératif d’avoir une seule langue commune, l’anglais, et ajoutait que les formations de très haut niveau, comme les productions scientifiques, devaient aussi se faire en anglais. Selon lui, le français serait voué à devenir de plus en plus une langue vernaculaire, c’est à dire parlée uniquement par des natifs. Cela serait dû à la puissance croissante de l’économie libérale et de sa langue, l’anglais, et à la progression de la mondialisation avec l’ouverture croissante du marché mondial aux productions des Etats-Unis dont résulterait une uniformisation culturelle.

De son côté, le Général de Gaulle, dont les qualités de visionnaire ne sont plus à prouver, déclarait déjà en 1954 : « Avant trente ans, si nous n’y prenons pas garde, on ne parlera plus qu’américain dans les organisations internationales. » A noter ici l’usage expressif du terme « américain » pour désigner la langue anglaise.

Certains, comme notre camarade de la Renaissance Française, Farid Chéhab, tout en préconisant l’usage de « l’esprit francophone » comme vecteur de liberté et d’humanisme, qualifient toutefois de « fondamentalistes de la francophonie » ceux qui s’accrochent à la pureté de la langue française, dans son sens littéral, pureté fondée sur son héritage littéraire et sur sa grammaire ». (C’est ainsi que j’ai découvert que j’étais, sans le savoir, une dangereuse fondamentaliste, ce qui est aussi le cas, j’en suis sûre, de nombreux présents dans cette salle !).

Pour parler chiffres, s’il est vrai que le français se place loin derrière les quatre grands groupes linguistiques que sont le chinois, l’anglais, le hindi et l’espagnol, cette langue est cependant la première en termes de présence, donc de rayonnement puisqu’elle est la plus répandue sur les cinq continents et qu’elle jouit, de ce fait, d’un domaine d’influence culturel extrêmement vaste. Selon la vision écologique contemporaine du linguiste Louis-Jean Calvet, la langue française ferait partie d’une dizaine de langues dites « supercentrales », à côté de celle qu’il qualifie d’hypercentrale, à savoir l’anglais.

Comment la Francophonie œuvre-t-elle à étendre sa fonction purement linguistique en un vecteur culturel d’avenir ?

3-La Francophonie, vecteur culturel d’avenir

A cet égard, diverses mesures ont été prises. Parmi celles-ci :

1-La fameuse  « exception culturelle française » initiée par la France dès la négociation des Accords du Gatt en 1993 et relayée, par la suite, par ses partenaires européens. En réalité, cette expression désigne une action beaucoup plus ancienne menée depuis la création, en 1959, du ministère de la Culture alors confié à André Malraux. Elle est fondée sur l’idée que les créations culturelles, plus spécialement celles de l’audiovisuel (cinéma, théâtre et télévision), ne sont pas des biens marchands comme les autres et  doivent donc être protégées par des dispositions autres que les seules lois du marché et du libre-échange. Concrètement, cette politique prévoit des prélèvements sur les gros succès et les produits culturels les plus populaires afin de soutenir des œuvres plus confidentielles et, plus généralement, pour assurer des fonds d’aide et de soutien à la création culturelle d’expression française.

Elle comprend, par exemple :

-l’organisation de festivals, comme le Festival annuel du cinéma de Cannes.

-la décision d’imposer le prix unique du livre visant à soutenir les libraires.

-un certain quota de chansons françaises dans les radios et plus récemment, depuis 2021, sur les plates-formes de diffusion comme Netflix.

-l’obligation, pour ces plateformes de diffusion, d’investir 20 à 25% de leur chiffre d’affaires dans la production d’œuvres européennes d’expression française.

-l’obligation pour les salles de cinéma de favoriser la diffusion des « petits films » et de ne pas se contenter de diffuser des gros succès, dits « blockbusters »,

L’exception culturelle française a suscité de nombreuses polémiques stigmatisant « une certaine prétention française à se considérer au-dessus des autres cultures ». D’autres critiques portent -c’était prévisible- sur le coût de cette politique s’élevant à 1.6 milliards d’euros par an pour le seul secteur de l’audiovisuel. Enfin, quelquefois, c’est curieusement de la part des intellectuels et des artistes, c’est à dire de ceux-là mêmes que la politique culturelle française cherche à protéger, que proviennent les critiques les plus virulentes : on se souvient tous de la ministre de la Culture française, Rima Abdul Malak, d’ailleurs d’origine libanaise, forcée de défendre vigoureusement la politique culturelle française et le soutien apporté aux acteurs, face aux critiques acerbes d’une comédienne sur scène, lors de la Nuit des Molières 2023. Sur un plan intellectuel de principe cette fois-ci et dès 1997, le prix Nobel de littérature Mario Vargas Llosa, mettait en garde contre le protectionnisme culturel en affirmant avec virulence : « La menace sur Flaubert et Debussy ne vient pas des dinosaures (du film) Jurassic Park, mais de la bande de petits chauvinistes qui parlent de la culture française comme s’il s’agissait d’une momie que l’exposition à l’air frais ferait se désintégrer ».

Toutes ces critiques ont porté la France à remplacer la notion d’ « exception culturelle française » par celle, plus vague, de « diversité culturelle ». Ainsi, la consultation du livret informatif de l’Institut Français au Liban affiche ses valeurs « officielles » si l’on peut dire, comme étant celles « de la liberté, de la créativité et de la diversité ». Et si sa directrice mentionne, dans son mot d’introduction, l’attachement de l’Institut à faire la part belle à la francophonie, elle précise bien que celle-ci, « vivante et plurielle s’inscrit résolument dans le plurilinguisme au cœur de l’identité libanaise ». Ce glissement sémantique de « la francophonie » à la « diversité culturelle » aurait, pense-t-on, le mérite d’être moins défensif et plus fédérateur et d’être plus aisé à défendre devant des cénacles internationaux. Le chauvinisme de l’exception culturelle française, réflexe dit-on du « village gaulois encerclé », aurait ainsi été remplacé par l’universalisme de la diversité culturelle ; alors que pour d’autres, cette dernière ne serait qu’un vœu de dilution de la francophonie dans les cultures du monde. Ce devoir de diversité culturelle ne s’exprime pas seulement à l’international, ce qui aurait été compréhensible. Il s’impose aussi à l’intérieur de la France dans diverses productions audiovisuelles (publicités, séries télévisées, téléfilms, etc.). L’exemple le plus criant en est le débat suscité récemment par la rumeur du choix par le Président de la République de la chanteuse franco-malienne Aya Nakamura connue pour sa musique urbaine zouk/rap et R’n’B’ (Rythm&Blues) aux sonorités afro-caribéennes et aux paroles faites de néologismes de banlieue et d’anglicismes, pour chanter du Piaf lors de la cérémonie d’ouverture à Paris des Jeux olympiques 2024.

Que faut-il penser de l’exception culturelle française ? A mon sens, elle est l’expression de l’attachement de la France d’une part, à la culture en tant que telle et, d’autre part, au droit à la différence qui est au cœur des principes républicains d’égalité. En somme, il s’agit d’un attachement généreux à une certaine forme de justice dans le domaine de la culture, en réalité, tout le contraire d’un impérialisme culturel. Par ailleurs, on reproche à la France son exception culturelle, mais, en même temps, on réclame d’elle qu’elle soit le fer de lance de la défense de la diversité culturelle. S’il ne faut pas défendre la culture d’un pays, en l’occurrence celle de la France, parce qu’il s’agit là d’un acte dominateur et contre-productif, il n’y a donc pas lieu de défendre les cultures des autres pays, même au nom de la diversité. Et au cas où l’on décide que d’autres cultures devraient être défendues, pourquoi chaque pays ou chaque groupe de pays concerné(s) ne défendrait-il pas la sienne ? Pourquoi ce serait à la France de défendre la diversité culturelle des autres nations ? Par ailleurs, il me semble que la diversité culturelle, contrairement à la francophonie, n’est pas, à proprement parler, une cause à défendre. Elle est un état de fait résultant de la diversité des pays et des groupes de pays existant dans le monde dont résulte tout naturellement une diversité des langues et des cultures utilisées dans ces territoires. Les deux concepts, Francophonie et diversité culturelle sont, sur un plan conceptuel, structurellement et sociologiquement distincts, ils ne sont guère superposables et il n’y a donc pas lieu, à mon sens, de remplacer l’une par l’autre.

2-Une diplomatie culturelle considérée presque comme une invention française d’après M. Ibrahim Tabet, et sans équivalent dans le monde, suivant Alain Juppé. Elle se manifeste à travers un réseau remarquable d’établissements scolaires et culturels (écoles, Instituts culturels, etc.). Concernant le Liban, pour l’année 2019, le dispositif français scolarisait 20% des effectifs du réseau français à l’étranger, aux dires de notre collègue, l’ambassadeur Marcel Laugel, et sur près d’un million d’enfants scolarisés dans notre pays, plus de la moitié apprennent la langue de Molière. Quant à l’Institut Français, il compte, sur notre territoire exigu, grand comme le département de l’Ille-et-Vilaine, neuf centres et propose, outre le soutien aux établissements scolaires francophones et aux étudiants libanais, nombreux, désireux de poursuivre leurs études universitaires en France, des activités culturelles diversifiées (cinéma, musique, apprentissage de la langue française, médiathèques, ainsi que le fameux « Salon du livre francophone de Beyrouth », baptisé depuis 2022, toujours au nom de la diversité culturelle, d’un intitulé plus vague dans lequel le terme « francophone » a été ôté : « Festival annuel Beyrouth-Livres ».

3-La loi Toubon de 1994, du nom du ministre de la Culture français de l’époque, Jacques Toubon, destinée à protéger le patrimoine linguistique français en rendant son usage obligatoire en tant que langue de la République, surtout pour certaines informations communiquées au consommateur ou au salarié. Cette loi controversée, souvent même moquée -(elle a été  ironiquement surnommée « Loi AllGood » en allusion au nom du ministre)- a été, par la suite, limitée par une décision du Conseil Constitutionnel s’opposant à son application par les personnes privées dans l’exercice d’activités privées ne relevant pas d’une mission de service public, et cela sur le fondement du principe de la liberté d’expression. Elle a tout de même constitué un garde-fou utile à la préservation de la langue française ou, du moins, un encouragement à son utilisation.

4-Le renforcement de l’usage de la langue française comme langue fédératrice de l’Europe en tant que constitutive d’une part importante de l’identité européenne.

5-Le dépassement de la controverse relative à la distinction entre littérature francophone et littérature française. Cette controverse est née d’un manifeste signé par plusieurs écrivains paru en 2007 dans le journal « Le Monde » annonçant « la fin de la francophonie et la naissance d’une littérature-monde en français », avec pour objectif affiché de libérer la langue française de son pacte avec la nation. L’idée était de supprimer toute distinction entre la littérature française et la littérature francophone, différence qui serait « une perpétuation de la politique culturelle colonialiste française frappée d’un paternalisme culturel discriminatoire ». A notre sens, il s’agit là d’un débat sur les mots, le changement de dénomination, de « littérature francophone » à « littérature-monde en français » n’induisant pas automatiquement un changement des mentalités. De plus, la littérature tout simplement « exprimée en langue française », ni française, ni francophone, est l’un des fleurons de l’espace francophone et « constitutive d’une identité », comme l’écrit joliment notre camarade et actuelle Déléguée de la Renaissance Française en Equateur, Joëlle Cattan.

6-Le dépassement de l’opposition entre francophonie et anglophonie : Pour le Président Emmanuel Macron, « l’anglais est devenu une langue de consommation, alors que le français est une langue de création ». Cette phrase récente assigne à chacune de ces deux langues un champ d’action bien déterminé. Il s’agit là d’une qualification distributive de domaines : à chaque secteur de l’activité humaine, sa langue, nulle n’empiétant sur l’autre. Que faut-il penser de cette approche ? S’agit-il d’un jugement de réalité résigné dont il faudrait se contenter, ou faut-il, au contraire, lutter contre cet état de fait au nom de l’universalité de la langue française ?

D’après la revue « Le Point », « une réflexion sur la langue française commence par des cris d’amour qui s’élèvent de la francophonie et d’ailleurs ». Tous les francophones louent son élégance, sa subtilité, sa souplesse et sa parfaite adéquation à la pensée, même la plus abstraite. De ce fait, pour eux, les emprunts à l’anglais, ce qu’on appelle le « franglais » ou le « globish », sorte de lingua franca moderne du monde des affaires, un sabir dans lequel on « forwarde des mails », on « printe des documents » et on « maile des messages », n’en sont que plus désolants. En réalité, ce débat devrait être dépassé dans la mesure où les langues sont des instruments vivants, évoluant en permanence, s’enrichissant à la fois de l’apport des mots nouveaux imposés par la pratique et de celui du flux de termes en provenance d’autres cultures présentes dans le pays d’accueil ou en contact culturel avec lui.

Certes, la préservation de la langue française dans sa forme « pure » reste une priorité et une belle mission confiée à l’expertise éclairée et à l’autorité intellectuelle de l’Académie française depuis 1635. Il n’en reste pas moins que le français reçoit et consacre l’apport d’autres langues, notamment l’anglais, et vice-versa, dans un mouvement linguistique et culturel de ressac et de va-et-vient continu, fécond et enrichissant.

A cet égard, on ne peut que mentionner la parution récemment de l’ouvrage « La langue anglaise n’existe pas, c’est du français mal prononcé », du linguiste français Bernard Cerquiglini. Avec ce titre humoristique provocateur, l’auteur rappelle que 40% des 15000 mots des œuvres de Shakespeare sont d’origine française, ce qui pourrait nous porter à relativiser la gravité des emprunts actuels nombreux à la langue anglaise qu’on trouve en français. D’ailleurs, pour lui, l’arrivée de nouveaux mots contre lesquels l’Académie a parfois lutté avec des résultats mitigés, comme ceux de l’informatique avec « software » et « big data » ou ceux de la pandémie du Covid, comme « testing » ou « cluster » « n’est pas une invasion. Ce sont des mots français qui sont allés en formation en Angleterre et qui nous reviennent », plaisante-t-il.

Plus sérieusement, il nous faut, à l’heure actuelle, sur la question de la (gué)guerre du français et de l’anglais, mettre en œuvre l’injonction amicale de l’ancien ministre de la Culture libanais, Ghassan Salamé : « Sortons de cette dichotomie où l’anglais est la langue du business et le français la langue de la culture et de l’amour ! ».

4-Les défis actuels posés à la Francophonie : l’intelligence artificielle

A l’heure actuelle, dans le secteur du numérique, l’intelligence artificielle et ses outils les plus usités, les prototypes conversationnels comme CHATGPT, constituent un autre défi pour la francophonie, en ce qu’ils signifient un changement de paradigme total dans notre façon de penser, de produire et de créer.

En effet, il faut savoir que le contenu de CHATGPT non seulement est essentiellement conçu en anglais, mais est fourni par des sociétés géantes américaines -les géants de la High Tech- situées majoritairement dans la Silicon Valley en Californie. De ce fait, ce contenu véhicule, à travers ses algorithmes, les valeurs idéologiques de la société américaine, ce qu’on appelle « les biais » qui sont d’ordre culturel, politique, religieux et racial, ainsi que ses stéréotypes, souvent éloignés des valeurs égalitaires et humanistes de la culture francophone.

Afin de lutter contre cette uniformisation culturelle, deux moyens peuvent être utilisés :

  • Sur un plan personnel, il faut conseiller aux utilisateurs de CHATGPT lorsqu’ils lui posent une question -dénommée dans le jargon de l’IA « prompt »– de contextualiser la réponse fournie, en d’autres termes, de la placer dans son contexte culturel et de la relativiser, tout en veillant à détecter les erreurs possibles qu’on appelle « hallucinations » et en faisant preuve d’esprit critique à son égard.
  • Sur un plan plus général, l’Europe est en voie de produire un CHATGPT européen, le CHAT MISTRAL. Celui-ci est encore, pour le moment, en phase d’essai. Gageons qu’une fois finalisé et mis sur le marché, il sera le reflet des valeurs européennes humanistes et tiendra compte des spécificités culturelles de l’Europe.

Ainsi, dans un monde où l’utilisation de la révolution numérique et de l’intelligence artificielle pourraient, dit-on, avoir pour objectif de nous asservir, la Francophonie, en Europe et en France surtout, pourrait devenir la tête de pont de la nouvelle mission cruciale de protection des données personnelles et de mise en place de règles d’éthique et de bioéthique visant à l’encadrement juridique et moral de cette nouvelle technologie.

5-De la Méditerranée

J’aimerais citer, en premier, les mots de Fernand Braudel, ce Lorrain de naissance devenu un grand méditerranéiste, un historien qu’on ne saurait passer sous silence lorsqu’on parle de Méditerranée :

« La mer, il faut l’imaginer avec le regard d’un homme de jadis : comme une barrière étendue jusqu’à l’horizon, comme une immensité obsédante, omniprésente, merveilleuse, énigmatique… »

« Qu’est ce que la Méditerranée ? Mille choses à la fois, non pas un paysage, mais d’innombrables paysages, non pas une mer, mais une succession de mers, non pas une civilisation, mais plusieurs civilisations superposées ».

La Mer Méditerranée ou « Mer blanche Méditerranée », comme on l’appelle en arabe, est une dénomination due aux Turcs qui opposaient la Mer blanche « Ak deniz » à la Mer noire « Kara deniz ». Elle se trouve au milieu de plusieurs terres, territoires ou pays, comme on le dit aujourd’hui. Pour n’en citer que quelques uns seulement : la France, l’Espagne, l’Italie, la Grèce et la Croatie sur la rive européenne, la Turquie, la Syrie et le Liban sur la rive asiatique et les pays du Maghreb, la Tunisie, l’Algérie et le Maroc sur la rive africaine. D’ailleurs, étymologiquement, le mot « Méditerranée » vient du latin « mediterraneus » qui veut dire au milieu des terres (medi et terra).

A cet égard, je voudrais, pour ma part, insister sur cet aspect médian, sur la « médianité » (si j’ose user de ce néologisme) de cette mer. Car celle qui se trouve au milieu d’un espace, entre deux extrêmes, n’est-elle pas nécessairement non partisane, non extrême, jamais ultra ? Ayant une vision globale de l’ensemble au milieu duquel elle se trouve, n’est-elle pas naturellement un intermédiaire, un médiateur (ce mot vient justement de « médian »), un arbitre ? Et par là, ne joue-t-elle pas forcément un rôle de « facilitateur », comme on dit aujourd’hui, de rapprochement entre les divergences, donc de pacificateur des conflits ? N’est-ce pas là le rôle originel du Liban, sa vocation naturelle, avant que les vents des extrémismes ne l’entraînent dans les profondeurs abyssales des guerres et de la déchéance ?

D’après l’historien Ibrahim Tabet, «  le monde méditerranéen est aussi, en grande partie, l’héritier des civilisations de l’Antiquité… S’y trouvent aussi les racines de la civilisation européenne, à la fois gréco-romaines et judéo-chrétiennes ». Il souligne, à cet égard, le rôle important joué par les Phéniciens grâce à l’invention de l’alphabet et aux nombreux échanges commerciaux et culturels effectués avec d’autres peuples du pourtour méditerranéen par ces négociants navigateurs. Il fait aussi une  observation intéressante relative au fait que « l’histoire de l’ancien monde méditerranéen est marquée par l’avancée de la civilisation de l’est à l’ouest de cet espace, les trois religions monothéistes ayant, elles aussi, traversé la Méditerranée dans ce même sens géographique »…

Le grand nombre de pays autour du bassin méditerranéen, ainsi que leur importance, ont suscité de nombreuses initiatives. Il en est ainsi de 1973 à 1990 du « Dialogue euro-arabe » initié par le président Georges Pompidou dans l’objectif de rivaliser avec la politique des Etats-Unis au Proche-Orient. Il y a eu, par la suite, le fameux « Processus de Barcelone », lancé à partir de 1995 par l’Union européenne dans le but de créer une sorte de « cercle vertueux » susceptible de transformer l’espace euro-méditerranéen en une zone de paix et de prospérité. En 2008, c’est le président Nicolas Sarkozy qui a relancé l’idée d’un partenariat euro-méditerranéen, «  L’Union pour la Méditerranée » ou UPM, en vue de resserrer les liens entre les deux rives de la Méditerranée et de favoriser le développement des pays du Sud et leurs progrès vers la démocratie.

Malgré la bonne volonté de l’Europe et les espérances que ces projets ont fait naître, on s’accorde à dire que, de manière générale, le bilan de ces initiatives est mitigé. La raison en est, à côté de l’aspect financier insuffisant des montants alloués à cet effet (7 milliards d’euros pour la période 2021-2027), la persistance des conflits politiques et militaires dans la région du Proche-Orient, aggravée dernièrement par la guerre déclenchée le 7 octobre 2023 entre le Hamas palestinien et Israël. Plus que jamais, selon le titre d’un ouvrage de Georges Corm, « le monde méditerranéen est autant un espace de rêve qu’un espace de conflit ».

Un autre problème plombe, à l’heure actuelle, les rapports entre les pays de la rive européenne de la Méditerranée et ceux des rives africaine et asiatique, c’est celui des flux migratoires (on se souvient tous de la crise aigue de l’île italienne de Lampedusa). En effet, la Méditerranée est, depuis 2015, la mer la plus traversée par les migrants en quête d’une vie meilleure en Europe. De nombreux drames humains ponctuent ces traversées de fortune sur des rafiots précaires affrétés par des passeurs avides de gains profitant, de manière éhontée, du désarroi et de la misère de pauvres gens : escroquerie, débarquement dans des ports autres que ceux convenus, promesses non tenues, quand il n’y a pas naufrage et mort d’hommes, de femmes et d’enfants. De leur côté, les pays européens ont tenté, à travers le Conseil de l’Europe, de juguler ces flux en passant, depuis 2017, des accords avec la Libye, moyennant compensation et équipements, afin que ses garde-côtes interceptent les bateaux de migrants. Mais il semble que ces derniers, surtout ceux de nationalité égyptienne et bangladaise, aient réussi à contourner cet obstacle grâce à une nouvelle route dite « filière est-libyenne ». De ce fait, le problème ne semble pas prêt d’être résolu.

6-Caractéristiques et spécificités de la Francophonie dans le bassin méditerranéen

Dans un point de vue exprimé dans l’Orient Littéraire, le supplément du journal libanais L’Orient-Le Jour, à l’occasion de la Journée internationale de la Francophonie en 2003, mais encore tout à fait d’actualité, l’écrivain Alexandre Najjar détaille les divers rôles que joue la Francophonie dans cette région du monde :

-un outil de communication entre le Nord et le Sud et partant, une source d’enrichissement des idées et des cultures.

-une alternative à la globalisation et à la mondialisation qui ont standardisé, à travers la consommation de masse et la communication uniformisée, la pensée des peuples et des sociétés. Cela passe, d’après l’auteur, par la diversité culturelle -dont nos avons, plus haut, nuancé l’intérêt- consacrée par la Déclaration de Cotonou et activement soutenue par l’OIF.

-un rôle de pont immatériel entre la rive nord et la rive sud de la Méditerranée joué par la langue française. Celle-ci a pu tisser, au-delà des échanges parfois conflictuels, de vrais liens communicatifs entre les pays riverains, dans la mesure où la langue est certes, un signe d’identité, mais aussi celui d’une ouverture à l’altérité. 

-un outil de partage et de médiation, ce qu’on a pu qualifier de « langue en partage » et de « langue médiatrice », et cela grâce non seulement aux valeurs humanistes que véhicule la langue française, mais aussi à ses moyens d’expression répondant aux besoins de la chose publique ou « res publica ».

– un outil de promotion, dans les Etats méditerranéens du Sud surtout, de la culture de la démocratie et des libertés publiques -surtout la liberté d’expression- trop souvent bafouées dans cette région du monde.

-un modèle d’Etat qui, à défaut d’être tout à fait laïc, privilégie l’appartenance nationale par rapport à l’appartenance religieuse, dans une région du monde marquée par des conflits religieux et des extrémismes. Ainsi, au Liban, la domination des communautés religieuses sur l’Etat se traduit par l’absence de régime de statut personnel laïc, même facultatif. De ce fait, chaque citoyen est rejeté, pour toutes les matières du droit de la famille (mariage, divorce, garde des enfants, pension alimentaire, etc.) dans le giron des lois et des tribunaux de la communauté à laquelle il appartient, avec ce que cela implique sur le plan de l’éparpillement des règles de droit et de l’absence d’égalité juridique entre les citoyens.

-un levier pour encourager la création, l’innovation et l’entreprenariat en langue française, en vue de la création d’emplois dans la zone méditerranéenne, ainsi qu’un forum économique pour les échanges, la croissance et les partenariats commerciaux, rôle joué notamment par l’OIF. D’ailleurs, le thème choisi pour le prochain Sommet de la Francophonie est : « Créer, innover, entreprendre en français ». 

-un instrument d’échanges artistiques entre les artistes de la région du bassin méditerranéen favorisant une meilleure diffusion des créations et un véritable dialogue interculturel entre les peuples riverains.

A ces rôles aussi riches que diversifiés, se sont greffés d’autres attestant que la francophonie n’est plus un slogan ou un vœu pieux, mais une action concrète de soutien et de développement au service des populations francophones :

-Un rôle sanitaire joué par l’OIF durant la crise du Covid-19 avec la création, en 2020, d’un dispositif de solidarité pour lutter contre la pandémie.

-Un levier pour l’égalité hommes/femmes, à travers plusieurs initiatives dont celles visant l’autonomisation économique des femmes en Afrique et le fonds « La Francophonie avec elles ». Ces projets se traduisent par des initiatives concrètes, par exemple, des formations visant à favoriser l’accès des femmes vulnérables à l’emploi, à l’entreprenariat et au numérique et le soutien, en 2020, de l’OIF aux cinéastes femmes francophones des deux rives de la Méditerranée, sous la forme d’un incubateur de projets pour le développement de leur premier ou de leur deuxième film de fiction, « dans une vision -je cite- de la Méditerranée comme culture au-delà de la géographie ». Ainsi, de la rive nord de la Méditerranée émerge un mouvement des femmes de sa rive sud, cessant d’être Pénélope attendant Ulysse et réclamant une affirmation de soi à travers, notamment l’écriture, compensation à un pouvoir politique des femmes souvent absent dans cette partie du bassin méditerranéen.

On peut observer, à travers ces initiatives, en elles-mêmes louables et sans nul doute utiles, un certain glissement de la Francophonie de la culture vers le social. A cet égard, on peut se demander si cette transformation est souhaitable, si elle est de l’essence de la francophonie et réellement inscrite au cœur de sa mission. La question est donc posée de savoir si la Francophonie doit devenir une association solidaire pour le développement socio-économique ou une ONG humanitaire comme les autres. Parions que ce débat ouvert suscitera des réponses diverses et de nombreuses controverses.

Conclusion

La Francophonie possède son jardin situé au Liban, son Parc situé au Québec et son château et sa cité situés en France. Le premier, inauguré en mars 2023 dans le cadre du mois de la Francophonie, se trouve au sein du Campus des sciences humaines de l’Université Saint-Joseph de Beyrouth et a pour objectif de créer un espace incarnant les principes d’ouverture et de diversité de la francophonie. Le second a été nommé Parc de la Francophonie au Québec afin de célébrer l’Organisation internationale de la francophonie (OIF). Le troisième est le château de Villers-Cotterêts situé  dans l’Aisne, devenu « La Cité internationale de la langue française » dans lequel se déroulera le Sommet de la Francophonie. Considéré, après Notre-Dame de Paris, comme le deuxième plus grand chantier culturel du Président Macron, ce château dans lequel François 1er signa en 1539 l’ordonnance imposant le français dans les actes administratifs, a été inauguré par le Chef de l’Etat, après de gros travaux de rénovation, le 30 octobre 2023. Il comporte notamment un « ciel lexical » avec des mots singuliers suspendus, tels que « chelou », « onomatopée » ou « carabistouille », « une bibliothèque magique » cubique avec des conseils de lectures personnalisés dispensés par une intelligence artificielle, ainsi qu’une exposition permanente présentant la diffusion du français dans le monde et la diversité de ses usages. Sont aussi prévus des écrans diffusant des sketchs d’humoristes jonglant avec la langue française ou proposant une dictée interactive. En effet, selon son directeur, Paul Rondin, ce lieu « n’est pas un musée, on n’est pas ici pour conserver la langue française, mais pour la faire vivre, pour révéler sa diversité extraordinaire ».

Un jardin, un parc, un château, une cité ? Connaissez-vous d’autres langues, de par le monde, qui en possèdent ? Avec le respect dû à toutes les cultures humaines et au génie de chaque langue, en connaissez-vous d’autres qui aient élevé la leur au rang de monument, d’un monument qu’on habite et qui nous habite ? Jamais les mots de Cioran, le philosophe roumain de langue française, n’ont paru plus pertinents : « On n’habite pas un pays, on habite une langue. Une patrie, c’est cela et rien d’autre ». Si la langue est une patrie, une demeure, selon la jolie formule de Tahar Ben Jelloun, « la francophonie est une maison pas comme les autres, il y a plus de locataires que de propriétaire ».

Alors, la francophonie, combat linguistique d’arrière-garde ? Les chiffres -pourtant réputés froids et sans âme- attestent le contraire. Ainsi, en 2070, selon les estimations de l’OIF, c’est à dire dans les quelques cinquante années à venir, on pourrait compter entre 500 et 800 millions de francophones dans le monde, dont une majorité de jeunes vivant en Afrique. C’est donc d’une francophonie jeune, vivante, dynamique et résolument tournée vers l’avenir qu’il s’agit aujourd’hui.

En conclusion, la francophonie est à la fois un concept, un mouvement linguistique et une pratique sociale et culturelle régissant les rapports géopolitiques. Ou selon une définition plus belle encore de notre collègue, l’humaniste Antoine Courban : « Ni musée, ni espace transactionnel et encore moins enclos communautaire, la francophonie est avant tout un territoire patrimonial, celui de toute culture de civilisation faite d’humanisme et de citoyenneté, seules réponses valables à la globalisation ».

Certes, les enjeux du numérique et de l’intelligence artificielle confrontés aux valeurs culturelles de la francophonie ne sont pas négligeables. Le déni, en la matière, serait contre productif et relèverait de ce qu’on appelle, en droit, une « légèreté blâmable ». Cependant, ce ne sont pas les premiers et ce ne seront probablement pas les derniers défis que la francophonie aura à affronter dans le bassin méditerranéen et aussi dans l’ensemble des territoires de la francophonie. Le passé étant le meilleur gage de l’avenir, faisons le pari que la francophonie, souple et pérenne, vivante et durable, pourra relever, avec ses adeptes et ses véritables amis -dont nous faisons partie au Liban- tous les défis des nouvelles technologies.

Le Professeur Denis Fadda, dans son bel ouvrage Leur langue paternelle, regroupant des discours qu’il a prononcés en hommage à des auteurs couronnés par La Renaissance Française qu’il préside, qualifie « la langue française, métaphoriquement, de langue paternelle…les mots du père ne disant pas les mêmes choses que les mots de la mère ».

Et si, comme le dit Ibrahim Tabet, « la géographie rassemble les peuples méditerranéens et l’histoire les sépare et les oppose »,la francophonie pourrait contribuer, par la magie d’une langue commune, au dialogue des cultures et des civilisations. 

Ainsi, la culture  des droits de l’homme flottera toujours, tel un étendard, dans le ciel tricolore de la liberté.

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