Adieu Ami….
le 5 juillet 2017, à Moscou, j’ai remis la Médaille de Solidarité et Valeur à Jean-Luc PIPON devant ses amis; aujourd’hui, j’ai appris la bouleversante nouvelle. Jean-Luc nous a quittés ce matin, 23 janvier, suite à une crise cardiaque.
Injuste pour ses 57 ans, injuste pour sa femme et ses filles, injuste pour ses amis qui l’aimaient tant.
C’était un grand rêveur avec un grand coeur et aujourd’hui ce coeur a cédé. Son sourire et ses célèbres » piponades » vont nous manquer. Il nous manque déjà.
Il y a quelques années, Jean-Luc a quitté la Russie, pour rejoindre la France et maintenant il rejoint les étoiles. Nous ne l’oublierons jamais.
Zoya ARRIGNON,
Présidente de la délégation de la Fédération de Russie
Ce poème a été écrit par son ami, Jean-Félix de la Ville Baugé, Directeur général du Courrier de Russie et Lauréat de la Renaissance Française et lu lors de la cérémonie du 5 juillet à Moscou.
En mémoire de Jean-Luc, je le publie aujourd’hui:
C’est difficile de parler de ceux qu’on aime.
J’ai toujours le sentiment que les langues sont des paravents
faites pour cacher
et non pour dire.
J’ai toujours l’impression que les mots
sont des gros doigts maladroits
qui tentent d’attraper des bulles de savon.
Je crois que seuls les actes parlent.
En écrivant ce discours Jean-Luc
j’ai compris combien je t’aimais
et combien il était difficile de le dire.
J’aime ton rapport au temps Jean-Luc.
La première fois que je suis venu te voir à la banque, je t’ai appelé depuis la réception, tu m’as dit : « je descends. »
tu es arrivé trois quarts d’heure plus tard.
Chaque soir de bouclage tu m’as promis ton édito pour six heures
tu me l’as envoyé à neuf heures
nous en avons parlé
tu m’as promis « quelques petites corrections dans cinq minutes. »
tu me l’as renvoyé à trois heures du matin.
J’aime ta vision de la diététique.
Chaque fois que nous allons dîner tous les deux, tu me dis : « il faut que je fasse attention »
et à chaque fois tu commandes une pizza, des pates, un tiramisu et une bouteille de Bordeaux.
J’aime ta sensibilité.
Nous sommes dans un cocktail
une femme vient critiquer violemment le journal que je dirige
elle repart
je rentre chez moi
mon téléphone sonne
c’est toi qui m’appelle :
« j’ai vu Jean-Félix que ce que disait cette femme te blessait
ne l’écoute pas. »
J’aime ton écoute.
Je viens te voir à la banque
tu me parles de tes problèmes professionnels
de tes problèmes personnels
de la nouvelle crise financière qui va tous nous ruiner
de la fin du monde
je te dis que j’ai un grave problème personnel
ton visage change
tous tes problèmes disparaissent
tu m’écoutes
tu m’écoutes jusqu’à l’oubli de toi-même.
J’aime tes rêves.
Tu connais Thomas Edward Lawrence :
« Tous les hommes rêvent mais différemment.
Ceux qui rêvent la nuit
dans les recoins poussiéreux de leur esprit
s’éveillent au jour
pour découvrir que ce n’était que vanité ;
mais les rêveurs diurnes sont des hommes dangereux,
ils peuvent jouer leur rêve les yeux ouverts pour le rendre possible. »
Je me souviens quand vous êtes retournés vivre à Paris
tu m’as dit : « Eléonore va entrer à Henri IV. »
personne n’y croyait
j’entendais : « c’est impossible, ce sont les rêves de Jean-Luc. »
je ne disais rien
je sais que tu rêves les yeux ouverts.
Un mois plus tard ta fille Eléonore entrait à Henri IV.
J’aime ta façon d’aimer.
Tu aimes dans les détails.
Quand tu es devenu le parrain de notre fille Lyor, je me suis rendu compte que pendant trois jours tu avais fait des recherches sur les sites d’objets religieux du monde entier et que les deux médailles que tu avais sélectionnées pour elle cernaient son intimité.
J’aime ta liberté de penser.
Tu es une des rares personnes à penser par elle-même
sans jamais se soucier de l’endroit où tu arrives
même s’il faut en passer par les abbayes cisterciennes du 12ème siècle en Europe du Nord.
J’aime ton courage.
Avec toi j’ai ressenti la peur des gens
la peur de ce qu’on pense d’eux.
Tu te fiches de ce qu’on pense de toi
ou plutôt tu sais très bien que ta liberté rendra les gens féroces à ton égard
que le miroir que tu leurs tends est insupportable.
J’aime votre amitié avec Emmanuel
tant de fois tu m’as dit : « ne lui dis pas mais je suis inquiet pour Emmanuel. »
tant de fois Emmanuel m’a dit : « ne lui dis pas mais je suis inquiet pour Jean-Luc. »
Je crois qu’on mesure les sentiments au poids de leur silence.
Votre amitié est superbe parce qu’elle ne se dit pas.
Voilà
tu vois
j’ai trouvé quelques mots.
Et j’ai compris quelque chose.
J’ai compris pourquoi tant de gens t’aiment
parce que tu aimes jusqu’à l’oubli de toi.
J’ai compris ce qui nous liait
je crois
tous les deux :
nous trouvons la victoire vulgaire.
Jean-Félix de la Ville Baugé,