Empêchée en 2020 pour cause de pandémie et de confinement sanitaire, la remise du prix littéraire de La Renaissance Française à Katerina Autet pour son roman « La Chute de la Maison Whyte » (Robert-Laffont Ed.) a eu lieu le jeudi 9 décembre 2021 dans les salons de la fédération André-Maginot sise boulevard Saint-Germain à Paris.
Ce prix couronne chaque année l’ouvrage écrit en français d’un auteur dont le français n’est pas la langue maternelle.
La critique littéraire du Figaro avait salué Katerina Autet lorsque son ouvrage avait reçu le Grand prix des enquêteurs. Katerina Autet est Russe; Moscovite de naissance, elle a appris la langue de Molière adulte, bercée par les lectures de Stendhal, Balzac et les films de Louis de Funès et de Bourvil ». Et de souligner les propres paroles de la romancière : «Je n’ai jamais essayé d’écrire en russe, même si je suis Russe de naissance. Je vis en France, je pense en français. C’est une langue d’une grande beauté. Je suis sensible à ses expressions. Elle s’est imposée à moi comme une évidence.»
Le diplôme correspondant au prix littéraire de La Renaissance Française lui a été remis par le président d’honneur de ladite institution, Monsieur Gabriel de Broglie, de l’Académie française, Chancelier honoraire de l’Institut de France.
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Le président Denis Fadda et Katerina Autet.
Madame,
Vous êtes russe et vous avez choisi la langue française pour écrire votre roman et construire votre œuvre, car ce coup d’essai laisse vraiment augurer une œuvre.
Vous écrivez dans une langue française parfaitement maîtrisée, un livre dont l’action se passe aux Etats-Unis, sur la côte est, un territoire que vous semblez bien connaître. A La Renaissance Française, nous sommes sensibles à ces passerelles culturelles qu’édifie la langue.
Et vous avez choisi, pour votre premier ouvrage, le genre littéraire le plus lu et le plus populaire et, de ce fait, l’un des plus exigeants : le roman policier. Il s’agit plus précisément ici d’un roman à intrigue, d’un récit qui s’inscrit dans les codes bien définis de ce genre qui n’est pas si ancien ; c’est au XIXème siècle seulement qu’il prend naissance sous la plume féconde d’Edgar Allan Poe. Dans votre livre La Chute de la maison Whyte, les clins d’oeil à ce génie de la littérature ne manquent pas. A commencer par le titre même de votre livre, qui fait écho à la célèbre nouvelle d’Edgar Poe La Chute de la maison Usher.
Et quand on avance dans la lecture de l’ouvrage, on ne peut s’empêcher de penser à la nouvelle qui a donné naissance à ce genre : Double assassinat dans la rue Morgue où un détective amateur doit résoudre, par l’observation et la déduction, l’énigme d’un meurtre commis en un lieu clos. Quasiment comme dans votre livre où un jeune avocat new-yorkais se retrouve, bien malgré lui, dans l’habit du détective enquêteur pour élucider un meurtre, qui se révélera double, commis dans un espace clos.
C’est depuis la Pennsylvanie que Edgar Poe imagine Double assassinat dans la rue Morgue qui se passe dans un appartement parisien, et j’aime à vous imaginer, Madame, composant dans votre appartement parisien La Chute de la maison Whyte qui se déroule sur une péninsule du Massachusetts, Etat où est né Poe, et qui est proche de la Pennsylvanie.
Voilà pour les clins d’oeil qui sont toujours réjouissants pour les amoureux de la littérature.
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Un enquêteur malgré lui, ai-je dit, et c’est bien ce qui fait le charme de ce héros bien peu préparé à jouer ce rôle.
Avocat spécialisé en droit de l’art, homme issu d’un milieu modeste, Zach a pour ami Skip, fils d’un richissime marchand d’art de la Côte est, à Cap Cod, auquel il s’est lié à Harvard. Or Skip est accusé de parricide et il sollicite son ami pour sa défense. Zach n’est aucunement compétent, bien éloigné du droit pénal et de la criminologie et n’ayant aucun goût pour l’investigation ; pourtant, au nom de l’amitié et dans le profond désir d’innocenter son ami, il va se transformer en enquêteur avisé et pugnace.
Commence alors une course contre la montre alors que la machine judiciaire s’apprête à broyer Skip que tout accuse. Une course contre la montre qui tient le lecteur en haleine, avec ses brusques accélérations, ses retours en arrière, ses pertes de repaire, ses pannes désespérantes, ses fausses pistes, ses points morts, qui laissent le défenseur quelque peu désemparé.
Pour autant, à aucun moment Zach ne baisse les bras ; au nom de l’amitié, il ne désarme pas. Il faut dire que tous deux, pendant leurs études de droit, ont aussi étudié le grec ancien – et cette « incongruité » dans le milieu des affaires qui est le leur, est plus perçue comme une faiblesse que comme une richesse – Pourtant, c’est peut-être là que Zach a appris qu’Aristote plaçait l’amitié, la philia, très haut dans la hiérarchie des sentiments, car elle suppose une affection désintéressée : aimer l’autre pour ce qu’il est. Ce qui est bien peu le cas dans l’univers où évoluera l’enquête.
Au fur et à mesure que les jours passent – il y en aura 14 – la pression monte, l’étau se resserre, car Zach ne peut apporter à la police les preuves de l’innocence de son ami.Cependant, grâce à sa méthode et sa perspicacité, il y parvient : la coupable est démasquée.
Mais ce n’est que le quatrième acte de la tragédie, il y en aura un cinquième dans lequel tout va se complexifier, se condenser, et prendre le rythme et l’intensité d’un thriller.
Dans les dernières secondes avant l’expiration du délai imposé par la police, tout se dénoue, le double meurtre est enfin élucidé. La vérité apparaît dans sa sordide lumière.
* * *
J’ai dit que l’affaire se déroule dans un espace clos, celui de la famille, lui-même inclus dans un autre espace clos, celui de la péninsule très huppée de Cap Cod.
L’écriture du roman donne lieu à une satire féroce de la société qui fréquente ce lieu dont les valeurs sont fondées sur la fortune et le paraître : tout s’achète, et l’argent sert, d’abord, à acquérir une image. Le vernis est parfait, sans rides ni griffures : des êtres polis qui traitent leur personnel avec générosité car, dites-vous « la confiance a son prix ».
Une satire qui fait de ce livre un contemporain de la Comédie humaine balzacienne : très bien documenté, il propose l’analyse d’un monde dont on révèle les rouages secrets ; et ceci dans un style limpide qui en fait un miroir tendu au lecteur.
Le patriarche, William Whyte a construit sa fortune comme marchand de tableaux, mais son goût pour l’art, né dit-il de sa fascination pour la perfection, n’est pas parallèle à sa probité et ne semble pas avoir contribué à son édification morale.Vous écrivez d’ailleurs que le marché de l’art, est avec celui des armes et de la drogue, le troisième marché non régulé.
Apparaît en filigrane, dans cette famille de trois enfants, un vide abyssal que chacun tente de combler comme il le peut. La fille aînée Edith, par un engagement humanitaire désordonné, le fils Skip, par un hédonisme échevelé, la cadette, Caroline, par l’accumulation de biens et le luxe.
Et pourtant, par sa fortune et par sa position dans le domaine de l’art, la famille fascine et intéresse au plus haut point la presse à sensation qui n’attend qu’une chose, que le scandale émerge. Car rien ne plaît plus que le spectacle du malheur d’autrui.
Ce vice participe au spectacle tragique ; se réjouir de la chute d’un grand est un ferment de la tragédie. Partout les Atrides, même à Cap Cod !
Et votre roman montre et même dénonce la fascination que peut susciter ce monde-là. Vous exhibez le plaisir pervers qu’éprouve le lecteur ou le spectateur à assister à la chute des puissants, plaisir fondé sur un sentiment tristement humain et destructeur qu’est « l’ envie ».
Vous insistez, par exemple, et parfois de façon presque irritante, sur les marques de chaussures ou de vêtements que portent les protagonistes et vous démontrez ainsi que dans ce monde superficiel, futile et artificiel, l’exhibition de la marque possédée a pour but de créer la valeur tout en provoquant l’envie, l’un étant lié à l’autre.
Et le bien suprême qu’est « la famille », toujours vantée par le patriarche, une famille unie et respectable, est minée de l’intérieur par la toute puissance de l’argent : « Un homme comme mon père, écrit Edith dans sa chronique secrète, n’a pas de famille, il n’a que des héritiers ».
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Toute cette enquête pose, évidemment, la question de la vérité qui, en l’occurrence apparaît d’une infinie complexité. Vous montrez – c’est un lieu commun – qu’elle est bien masquée et que ses masques sont multiples, brillants, sordides, banals, à double ou triple épaisseur, décevants, fascinants et toujours imparfaits.
En quelque sorte, vous avez doublé l’enquête, dans le livre que vous écrivez, par une contre-enquête, un livre de dévoilement écrit par un personnage, la fille aînée, Edith, qui veut exposer la vérité familiale, dévoiler les secrets de famille.
Et nous lisons en alternance ces deux enquêtes qui se complètent, se confrontent, s’opposent. Ce livre dans le livre met en abîme la question centrale de la vérité, il alimente le trouble, le doute, la profondeur de l’inconnu et des interrogations. Car Edith, idéaliste, d’un tempérament rebelle, éprise d’absolu, a éprouvé le besoin de révéler les secrets de famille qu’elle croit avoir décelés, et de les publier, ce qu’une certaine presse s’est empressée d’annoncer.
Votre montage narratif met en évidence un problème très contemporain, que connaît fort bien le monde de l’édition : souvent un fils ou une fille veut régler ses comptes avec un géniteur par la publication d’un livre qui ferait largement connaître des secrets de famille ou des torts subis dans l’enceinte familiale, faisant ainsi s’ébranler les barrières entre vie privée et vie publique.
Est-il toujours bon de révéler et de publier ce que l’on croit être la vérité ? La vérité n’est-elle pas toujours partielle et partiale? Car il y a plus de vérités au pluriel qu’une vérité absolue.
Cette question de « la vérité » – qui est le ferment du roman à intrigue – est posée de façon très claire dans une scène de votre livre, lorsque la policière chargée de l’enquête sur l’enlèvement du bébé – une autre histoire dans l’histoire – décide de ne pas révéler la vérité et de couvrir un mensonge au nom de valeurs plus élevées.
Souvenons-nous de la sagesse d’Umberto Eco : « l’unique vérité est d’apprendre à nous libérer de la passion insensée pour la vérité ».
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Et les beaux sentiments dans tout cela, hors l’amitié vraie dont nous avons parlé ? On les cherche en vain. Le couple que forme l’enquêteur, Zach, avec Victoria, brillante et belle avocate, ne connaît pas la passion amoureuse ; Victoria donnant à son ambition professionnelle l’absolue priorité.
Lorsqu’on lit la dernière scène du livre où l’enquêteur amateur, vainqueur mais en rien grisé par sa victoire, plutôt accablé, rentre chez lui pour retrouver sa ravissante bien aimée, on se demande s’il est conscient que celle-ci ressemble par sa beauté, sa vanité, sa cupidité, sa passion du paraître, à la triple meurtrière qu’il vient de confondre.
Que lui reste-t-il de la folie de ces quelques journées : le chien qu’Edith lui a abandonné ; « un chien au pelage jaune, laid mais affectueux » dit-il ; « tout ce qui manquait à ma vie ».
De quoi sourire, n’est-ce pas ?
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