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Paris : Aytèn Inan à Gaveau

par La Renaissance Française

Le 14 décembre, à la salle Gaveau, le chef d’orchestre Aytèn Inan nous a offert un concert dont les innovations resteront gravées dans les mémoires. La maestra eut l’audace et l’énergie de présenter La Concorde, un tout nouvel orchestre. Quand on sait combien il est risqué, difficile et coûteux de fonder un ensemble, d’y intégrer des musiciens qui chacun sont à juste titre fiers de leur propre talent, la volonté du maître Inan force l’admiration. Ensuite il faut s’adapter au public et susciter son enthousiasme, ce qui est encore plus difficile lorsque celui-ci possède son identité propre comme celui de la SMLH, différent d’une clientèle hétérogène comme les clients d’une salle commerciale de spectacle, plus apte à l’enthousiasme spontané. Ouvrant le programme par une création contemporaine, le public resta dans l’expectative, mais lui fit bon accueil. Ensuite, selon les recettes éprouvées, les morceaux successifs s’adressèrent aussi bien à un auditoire néophyte grâce à des airs bien connus et délectables de Bizet et de Mozart, qu’à des connaisseurs appréciant des compositions plus difficiles d’accès.

Le chef d’orchestre sut avec habileté capter la psychologie de son auditoire, preuve qu’elle s’inspire des grands anciens en donnant son style propre à sa façon de diriger. Juste ce qui convient, et point trop n’en faut, elle prit à von Karajan son attitude pince-sans-rire mais archi-technique en se tournant vers les solistes avec cette connivence que le public apprécie ; elle sut traduire l’intention qui était propre à chaque compositeur, se plier avec humilité et fidélité au modelé de l’œuvre et non abuser d’une interprétation où quelques maestros se mettent eux-mêmes en lumière. Elle sut éviter l’écueil de Toscanini, surnommé « le tyran », si sûr de son talent qu’il en fut parfois pontifiant, comme en témoignent ses enregistrements. Aytèn nous offrit une démonstration de musicologie : certains morceaux furent joués de manière didactique, aux notes détachées, avec le minimum de liant et de vibrato, aussi nettes que des exercices de Czerny, mais sans la sécheresse pudique de ce pédagogue ; d’autres furent enlevés avec la virtuosité nécessaire, sans superflu.

Il faut remercier Aytèn d’avoir pulvérisé les préjugés d’un vieil amateur de concerts confit dans ses certitudes. Nous pouvions lui faire toute confiance comme interprète et comme pianiste, comme chef d’ensemble de chambre, mais quid d’un orchestre ? Sergiu Celibidache avait déclaré en substance que si une femme valait bien un homme comme soliste, il ne fallait pas leur confier une baguette. D’après le vieux maître roumain, il faut des qualités viriles pour diriger. Or, Aytèn dirigea plusieurs morceaux avec une poigne que n’aurait pas démentie les tambours majors de Napoléon au camp de Boulogne lors de la cérémonie fondatrice du 16 août 1804, chère au cœur des membres de la SMLH. Laissant poindre un humour malicieux, elle laissa par exemple un instant le timbalier très légèrement suggérer le son d’une batterie fanfare impériale, lorsque « le rang à la turque » domine le rang d’harmonie.

Cela n’empêcha pas la maestra de diriger l’un des morceaux en ayant posé sa baguette pour obtenir un rubato sans rien céder au tempo ni à la lecture exacte de la partition. À cet égard, s’il n’y a pas un sou de baroqueux chez elle : il y a fort à parier qu’elle pourrait donner des leçons à ceux qui passent la moitié de leur temps à accorder leur crincrin et l’autre moitié à jouer faux. On note parfois chez les vieux amateurs de concerts un instant de doute et de flottement : il était resté dans ma mémoire un souvenir de Gaveau remontant à une quarantaine d’années, lors d’une interprétation peu convaincante de Coriolan dirigée par Stasi, mais heureusement, celle d’Aytèn Inan l’a complètement effacé : non seulement l’orchestre répondait mieux, mais elle avait trouvé la juste acoustique de Gaveau, ce qui n’est pas à la portée de tous les chefs.

Il y eut une foule de moments délicieux, de plaisirs intenses, et l’un d’eux fut l’interprétation de Franz Liszt : tandis que le pianiste faisait preuve d’un doigté irréprochable, il m’était permis de l’admirer et de prendre une leçon par le reflet dans le verni noir du piano. Il faudrait le métier d’un vrai critique musical et non d’un modeste amateur pour rapporter avec précision tous les ressorts du talent du chef d’orchestre, voire de deviner les surprises qu’elle nous réserve à l’avenir. La Renaissance Française peut s’honorer de la compter parmi ses membres et saluons la SMLH qui lui a fait confiance. Michel Lebon, comme Aytèn administrateur de La Renaissance Française, nous représentait avec la dignité que nous lui connaissons, établissant le lien entre les deux institutions plus que centenaires et reconnues d’utilité publique.

Philippe Lamarque

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DISPARITION DE WALTER GLOSSNER

Président de la délégation de La Renaissance Française

Le Président international et les membres du conseil d’administration de La Renaissance Française ont le triste devoir de faire part du décès du très regretté Walter Gloßner, Président fondateur de la dynamique délégation de Sarre qu’il a su animer avec son équipe depuis 2018 par de riches rencontres culturelles transfrontalières franco-allemandes, ainsi que par des événements musicaux et littéraires toujours de qualité exceptionnelle.

Cher Walter, on n’ose pas décrire ce que vous avez fait pour La Renaissance Française en Sarre. Il suffirait de dire que vous étiez en Sarre l’âme et la chair de son projet de paix par la rencontre des cœurs.

 

Mais nous nous devons tout de même de partager brièvement avec ceux qui vous ont peu connu quelques souvenirs inspirants. Vous avez étudié à l’Université française de Sarrebrück où vous avez appris avec passion les bases de votre métier de banquier, mais d’abord la langue et la culture françaises. Surtout, vous en avez toujours éprouvé un profond sentiment de reconnaissance pour la France ainsi qu’un goût insatiable pour les arts et la culture.

 

C’est l’énergie de ce sentiment qui vous a porté à lancer des initiatives extraordinaires, au premier rang desquelles la création de l’Association des concerts de musique de chambre de Sarrebrück en 1987. Vous y avez mené une activité titanesque pour y organiser des concerts avec des musiciens d’exceptionnelle qualité artistique accompagnés souvent d’instruments également très rares. Vous avez su galvaniser un auditoire fidèle à vos concerts pendant plus de trente ans, en les organisant parfaitement, en sachant partager avec plusieurs générations votre passion pour la musique de chambre de haute qualité ! Là, c’était d’abord votre intime communion avec le génie musical allemand que l’on ressentait émerger de votre cœur. Oui, homme de cœur vous l’étiez, aussi avez-vous su d’emblée partager avec tous votre belle innocence et votre émerveillement.

 

 

Ce sont ces vertus que vous avez apportées en dot à La Renaissance Française quand vous avez fondé sa délégation de Sarre, en 2018. suite au rayonnement qu’avait suscité la remise de la Médaille d’or de La Renaissance Française par le Président international au ministre sarrois Stephan Toscani en mars 2017, organisée par notre cher Bruno Théret, président fondateur de la délégation de La Renaissance Française au Luxembourg.  Vous y avez mené des activités littéraires, musicales et culturelles débordant sans y prêter garde les frontières géographiques, parce qu’avec vous, nous n’étions plus en France ou en Allemagne, mais en comté de Sarre-Nassau, dans le baillage allemand de Lorraine, ou encore dans le berceau des Villeroy de Galhau. Cela ne vous a pas empêché de partager aussi l’histoire des malentendus franco-allemands et des idées reçues véhiculées par les médias culturels à travers les âges, mais avec vous, toujours pour les sublimer d’emblée : avec les évocations d’Ernst Jünger et de Maurice Genevoix ou en nous emportant dans des moments de ravissement – comme ce poignant concert dans l’église des Éparges qui suivit une retraite aux flambeaux avec les drapeaux français et allemands de 1915, ainsi que des villageois en tenues militaires des deux pays.

 

C’est dans cet esprit que vous avez ancré La Renaissance Française en Sarre et ses valeurs dans les cœurs, en y fondant une association d’utilité publique de droit allemand en janvier 2023, en y créant deux jardins de roses Simone Veil dont l’un bordant la frontière à Sarrebruck, en organisant des conférences sur les fables de Jean de La Fontaine, ou encore en invitant des formations musicales pour des concerts mémorables pas seulement dans la ‘Grande Région’ mais jusqu’à la Maison Heinrich Heine…à Paris : c’était ‘Le Grand Concert’.

 

Cher ami Walter, on l’a compris, votre âme allemande est bien parfaitement française. Grâce aux graines que tout au long de votre vie vous avez semées, elle continuera à allumer la passion des cœurs sincères pour insuffler la paix par le partage de la langue et de la culture françaises que vous avez su aimer avec tant de force.

Comme vous avez pensé à tout, nous savons que la délégation de La RenaissanceFrançaise en Sarre, en étroite relation avec le siège, continuera à grandir sur le chemin que vous avez tracé ;

Nos pensées, en ce moment, vont vers ses fils, vers le vice-président Viel et vers la remarquable secrétaire générale Barbara Beyersdoerfer