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125ème anniversaire de la naissance de la comtesse Leïla du Luart, marraine du 1er Régiment Etranger de Cavalerie

par Zoya ARRIGNON

(6 février 1898, Saint-Peterbourg – 21 janvier 1986, Paris)

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« Comment expliquer le couple improbable formé par l’élégante comtesse et ses képis blancs ? Comme eux, c’est une étrangère au service de la France. Comme eux, elle a dû quitter son ciel et sa terre, connu les périls de l’errance, le dénuement matériel, l’absolue détresse d’être privée à jamais d’un être aimé…. L’Histoire d’amour du 1er REC et de sa Marraine est d’abord et avant tout l’histoire d’une double fascination…»
Guillemette de Sairigné, « La Circassienne »

Elmiskhan Gali Hagondokova, la comtesse Leila du Louart, est la marraine du 1er Régiment Etranger de Cavalerie ; une russe qui a consacré plus de 40 ans de sa vie à la Légion étrangère et qui a dédié sa carrière au service de la France. Ce dévouement a été récompensé par les plus hautes distinctions de la République : elle est nommée commandeur de l’ordre national de la Légion d’honneur, grand officier de l’ordre national du Mérite, titulaire de la croix de guerre 1939 – 1945 et de la croix de la valeur militaire. Ses obsèques sont célébrées à la cathédrale Saint-Louis des Invalides, cathédrale des Armées françaises.

Née le 6 février 1898 à Saint-Pétersbourg, Elmiskhan Gali Hagondokova est issue de l’aristocratie de Kabardie, petit territoire du Caucase russe. Elle est la fille du général Constantin Nicolaïevitch Hagondokov, Ataman des Cosaques, gouverneur militaire de la province de l’Amour, commandant en chef des forces impériales en Extrême-Orient et proche de Nicolas II. Sa maman Elizabeth Bredow, une Pétersbourgeoise, descend d’une vielle dynastie issue de Slaves polabiens.

général Constantin Nicolaïevitch Hagondokov

général Constantin Nicolaïevitch Hagondokov


Gali est la 2ème d’une famille de 8 enfants. Avec l’avis favorable de l’impératrice Alexandra, elle intègre, à l’âge de 6 ans, l’institut impérial Smolny réservé aux jeunes filles de bonnes familles.
La famille partage la vie entre le Caucase, Saint-Pétersbourg et Paris.
A l’heure de la première guerre mondiale, elle se trouve avec sa famille à Kislovodsk. A 17 ans, elle s’engage sans hésiter à l’hôpital municipal pour soigner les blessés. C’est là-bas qu’elle rencontre son premier mari, le capitaine Nicolas Bajenoff, fils d’un général, issu de la noblesse russe. Il est officier au régiment Semenovsky, l’un de prestigieux régiment d’infanterie de la garde impériale. De cette union, naîtra en 1919 à Kislovodsk, son fils unique, Nicolas, en pleine tourmente révolutionnaire. En 1919, ses parents fuient la Russie bolchevique pour s’installer en France. Gali part aussi avec son époux et son fils à Harbin puis à Shanghaï. Attirée par la mode, elle devient mannequin pour une maison de couture. Après son divorce en 1922, elle mène une vie modeste mais digne. Elle se lie alors d’amitié avec Joseph Kessel, un fils d’immigrés de l’Empire russe, journaliste et écrivain français. Grâce à ses relations à l’Ambassade de France à Shangaï, Gali obtient les documents nécessaires pour rejoindre sa famille en France.
A son arrivée à Paris, au printemps 1922, Gali s’est réfugiée chez ses parents qui habitent à rue Brémontier dans le 17ème arrondissement.
Paris à la Belle Epoque est fasciné par le monde russe : Serge Diaghilev, Igor Stravinski, Ivan Mosjoukine etc. Les mannequins d’origine russe ont la cote : grande, blonde, aux yeux bleus, avec des manières aristocratiques et leur grâce naturelle. Grâce au prince Serge Koutousoff, un intime du grand-duc Dimitri et « directeur de salon » chez Gabrielle Chanel, Gali obtient une place au 31 de la rue Cambon et devint « un mannequin mondain ». C’est là bas, qu’elle se lie d’amitié avec le « nez » de la maison, Ernest Beaux, le créateur du mythique « Chanel n°5 ». Elle se passionne alors pour le parfum. Elle songe même à ouvrir une boutique mais elle n’en a pas les moyens. Toujours grâce à ses relations dans le milieu russe, elle obtient un rendez-vous avec Paul Poiret et prend la direction de sa boutique « Parfums de Rosine » qu’il vient d’ouvrir à Deauville après celle de Paris.
C’est une femme d’action, une femme déterminée. Elle aime l’indépendance. En 1929, elle créé sa propre maison « Elmis », ce nom correspond aux premières lettres de son prénom caucasien.
C’est à Deauville que Gali rencontre le comte Ladislas du Luart qui devient son second mari. Orthodoxe de naissance, elle accepte de se convertir au catholicisme pour épouser Ladislas. Le mariage est célébré à l’été 1934 à Notre-Dame-de-Grâce de Passy avec comme témoin de la mariée, le Prince Felix Youssoupoff.
23 août 1934, le mariage de Gali et Ladislas

23 août 1934, le mariage de Gali et Ladislas


Pour intégrer la famille du Luart, elle choisit de devenir catholique et de porter le nom d’Irène. Toutefois chez les du Luart, on n’apprécie guère que deux personnes portent le même nom. Gali découvre un petit peu tard que le nom d’Irène est déjà porté par la seconde fille d’un des frères de son époux. Elle choisit donc le prénom Léïla, celui de la belle Circassienne décrite par Alexandre Dumas dans « Voyage au Caucase ». « Gali née Hala Elmiskhan Hagondokova, épouse Bajenova puis du Luart, alias Irène alias Leïla », la femme exceptionnelle aux plusieurs noms qui aime intriguer.

Après son mariage, elle mène une vie heureuse avec son fils Nicolas et son second mari. Cependant, la guerre civile en Espagne éclate. Elle repense à ses longs mois passés à l’hôpital de Kislovodsk auprès des blessées. Elle mobilise toutes ses relations pour collecter les fonds et créer un système d’ambulances chirurgicales mobiles qui permettraient d’opérer au plus près des combats. « … Elle commence à jeter ses idées sur le papier, à concevoir l’agencement intérieur des ambulances… il faut caser dans les ambulances une quantité impressionnante de matériel, les équipements pour les transfusions sanguines, pour la stérilisation des instruments, en passant par les brancards, masques à chloroforme, gants en caoutchouc, thermomètres, seringues …. Charge à la Société des usines Renault, dont elle connait bien les dirigeants, de fabriquer les châssis avant de faire réaliser chez un carrossier les aménagements nécessaires » décrit Guillemette de Seirigné dans son ouvrage « la Circasienne ». Leïla investit toute son énergie dans ce projet. Elle conduit ses ambulances elle-même, accompagnée par son époux. Jusqu’à la fin de la guerre civile, une vingtaine d’ambulances ont été livrées par Leïla. Elle sillonne les zones de combats, elle soigne les blessés.

Léïla (au centre) au foyer de la FCM

Léïla (au centre) au foyer de la FCM


Avec sa « Formation chirurgicale mobile franco-américaine » (FCM) d’une quarantaine de véhicules, elle participera à la bataille de France de mai à juin 1940. Pour son action, elle est promue au grade de Chevalier de la Légion d’Honneur et elle reçoit également la Croix de guerre, en même temps que plusieurs de ses équipiers. Après l’Armistice, elle rejoint l’Afrique du Nord. Le 8 novembre 1942 débute l’opération « Torch » (débarquement des alliés). Baptisée « l’Ange gardien de l’Afrique du Nord », la comtesse du Luart organise sa formation pour accompagner les unités de premières lignes. Plusieurs fois elle favorise l’évasion par Tanger des membres de son équipe qui souhaitent passer en Angleterre pour rejoindre la France libre.

La Légion étrangère
En assistant au défilé du 14 juillet 1939 sur les Champs Elysées, elle est émerveillée par les légionnaires défilant coiffés du képi blanc. Ces hommes lui rappellent les cosaques de son enfance.
Pendant la bataille de France, elle soigne les blessés du 11e régiment étranger. En Tunisie sa formation intervient auprès des nombreux blessés parmi les légionnaires.
C’est à Rabat, en 1943, qu’elle fait la connaissance du 1er Régiment Étranger de Cavalerie sous le commandement du colonel Roger Miquel. C’est alors qu’elle devient la marraine de ce régiment. Dans son remarquable ouvrage « la Circassienne » Guillemette de Sairigné décrit cet instant « … En fin de journée, Leïla, ses médecins et ses infirmières, sont conviés à un grand repas donné par le 1er REC…. La nuit est tombée quand la voiture de Leïla débouche sur une vaste clairière où l’attend Miquel, flanqué de son état-major. Soudain, c’est l’extinction totale des lumières. Et, aussitôt après, surgissant de l’ombre, cernant la clairière en un vaste arc en ciel, l’apparition des blindés flambant neufs du régiment, tous phares allumés…. Fanfare, passage des escadrons, présentation des officiers et des sous-officiers… le colonel dans le discours joliment troussé, lui demande de devenir marraine du régiment. Opération séduction réussite : c’est oui, et d’enthousiasme. L’alliance sera définitivement scellée au cours d’un fastueux dîner sous la tente, animé par des chœurs russes et espagnoles… »
Le jour de Noël 1943, étant déjà à Alger, elle fait un aller-retour jusqu’à Rabat pour remettre à ses filleuls de précieux cadeaux qu’elle a préparé avec le plus grand soin (conserves fines, sucreries, savon à barbe, des gants et des chaussettes). Peu après, elle poursuit son œuvre en Italie auprès du général Alphonse Juin puis aux côtés du général de Lattre de Tassigny et la 1ère armée française qu’elle suit jusqu’en Autriche. Le général de Lattre lui rend hommage par cette citation : « Splendide formation chirurgicale admirablement organisée et animée par la haute personnalité de la comtesse du Luart qui sut ajouter aux soins éclairés d’une technique chirurgicale de l’avant, hors pair, l’irremplaçable et réconfortante douceur d’une main maternelle, la FCM 1 a conquis d’emblée le cœur de ceux qui la virent à l’œuvre… »
Promue officier de la Légion d’Honneur, elle regagne la France après l’Armistice.

Le 14 juillet 1945 Leïla du Luart remonte les Champs Elysées accompagnée de son chauffeur et des infirmiers marocains : « … la patronne de la FCM n°1 trône en majesté, … dans son uniforme bleu marine… Leïla savoure cette gloire… ce qui l’émeut…. C’est ce sentiment qui est le sien d’avoir payé son dû à la France …de ce pays qui l’a accueillie, …qui lui a donné la langue, …elle a su se rendre digne. Elle a su le servir mille fois mieux que bien des Français de naissance, elle a contribué à le libérer… «

Le 14 juillet 1945 Leïla du Luart remonte les Champs Elysées accompagnée de son chauffeur et des infirmiers marocains : « … la patronne de la FCM n°1 trône en majesté, … dans son uniforme bleu marine… Leïla savoure cette gloire… ce qui l’émeut…. C’est ce sentiment qui est le sien d’avoir payé son dû à la France …de ce pays qui l’a accueillie, …qui lui a donné la langue, …elle a su se rendre digne. Elle a su le servir mille fois mieux que bien des Français de naissance, elle a contribué à le libérer… «


Après la guerre, elle reste à Paris auprès de sa famille mais elle n’est pas inactive pour autant. Elle organise de nombreuses soirées de charité au profit de l’Armée. En 1946, ses filleuls du 1er Régiment Étranger de Cavalerie partent en Indochine. Elle trouve toujours le moyen de contribuer au bien-être du régiment.

Leïla savoure la vie, c’est une épouse et une mère comblée. Après ses brillantes études, son fils unique s’installe à Paris. Elle a tout pour être heureuse mais le malheur frappe à sa porte. Son fils est importé par une tumeur au cerveau. Avec lui, elle perd ce qu’elle avait le plus cher au monde, sa raison de vivre. Pour lui, Leïla édifiera un mausolée au cimetière russe de Sainte Geneviève des Bois.
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Dès 1956, la tragédie algérienne va donner l’occasion à Leïla du Luart de reprendre du service et de continuer à se dépenser sans compter au service de la France. Elle crée en Algérie, au Bastion XV, le centre militaire de détente interarmées pour les permissionnaires qu’elle finance en grande partie elle-même.
En décembre 1957, le général Raoul Salan, commandant supérieur interarmées de l’Algérie, remet à Leïla du Luart la Croix de la Valeur militaire. Elle est promue par la suite commandeur de la Légion d’Honneur. En 1959, elle finance entièrement la construction de nouveau centre à Chenoua-Plage, à l’ouest de l’Alger pour les légionnaires du 1er REC. A travers de « ses fils d’adoption », ses filleuls, elle revoit son fils et reprend goût à la vie.

Après 11 années passées en Algérie, le 1er REC rejoint en 1967 la garnison d’Orange dans le Vaucluse. Leïla n’abandonne pas pour autant ses filleuls. Elle fait des voyages à Orange plusieurs fois par an pour assister notamment à la fête de Noël, à la fête de Saint-Georges (patron des cavaliers), à la commémoration de Camerone (un haut fait de la Légion étrangère), aux passations de commandement. Elle préside l’élection de Miss Képi Blanc, elle siège au jury pour choisir la meilleure crèche de la Légion etc. Le 19 juin 1969, elle est faite brigadier-chef d’honneur du régiment.
Leïla poursuit ses actions sociales au profit de son régiment. Généreux mécène, elle assure au régiment un train de vie qu’il n’aurait jamais eu sans elle. Elle est toujours prête à venir en aide : elle achète des instruments pour former un orchestre des légionnaires, des téléviseurs pour équiper des chambres au Foyer du légionnaire, elle fournit des aides ponctuelles aux légionnaires dans le besoin etc. A Noël 1978, elle affrète même un petit avion pour envoyer les cadeaux au 2ème escadron en opération au Tchad…. Leïla donne beaucoup au 1er Régiment Étranger de Cavalerie.
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Le 30 avril 1983, lors du Camerone à Orange, Leila passe les troupes en revue accompagnée du LcL Bertrand de La Presle, commandant du 1er REC. Ce privilège n’est réservé qu’au Président de la République, au Premier ministre ou au ministre de la Défense.

« La Légion ne pleure pas ses morts, elle les honore »
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Atteinte d’une leucémie, Leïla du Luart s’éteint le 21 janvier 1985. Elle a survécu 5 ans à son mari. Les obsèques dignes d’un maréchal d’Empire ont lieu le 29 janvier à Saint-Louis des Invalides. Le serment est prononcé par le Père Dumort accompagné du Requiem de Gabriel Fauré et du chant traditionnel du 1er REC « La Colonne ». Porté par des brigadiers-chefs, son cercueil traverse la cour d’honneur entre deux haies de képis blancs. Après une célébration dans la cathédrale orthodoxe de Saint-Alexandre Nevsky à rue Daru, Leïla du Luart est enterrée au cimetière russe de Sainte-Geneviève-des-Bois à côté de son fils.

Pour commémorer sa mémoire, une stèle a été érigée au quartier Labouche à Orange. Elle représente une colonne brisée qui symbolise « la Colonne », le chant traditionnel du 1er REC et la souffrance de la perte de leur marraine. Depuis le 11 juillet 2014, cette stèle se trouve sur le camp de Carpiagne, le nouveau lieu de stationnement du 1er REC.
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Toutes les années impaires, le 21 janvier, jour de sa mort, une cérémonie militaire du souvenir a lieu devant la tombe de la comtesse du Luart, suivie d’un office religieux en la cathédrale Saint-Louis des Invalides.

« .. « Un soldat » … Elle n’a pourtant jamais appartenu à une unité combattante. De sa vie, elle n’a commandé à des hommes de monter à l’assaut. Ni tenu une arme à la main. Mais elle est un soldat…c’est à cause des qualités morales qui sont sa marque de fabrique, la fibre patriotique, le sens de l’honneur, le courage… »
Guillemette de Sairigné, « La Circassienne »

Texte : Zoya ARRIGNON
Présidente de la délégation de la Fédération de Russie
Déléguée de l’ASAF pour Pas- de- Calais

Photos :
1er REC, Union de la Noblesse Russe Paris, Fondation de la culture tcherkesse, l’ECPAD.

Sources :
– «Beauté en exil » Alexandre Vassiliev ed. Slovo, 2004/ Красота в изгнании, А.Васильев, изд. Слово, 2004 ;
– « Le général russe avec le cœur caucasien/ 145 ème anniversaire de la naissance du général Constantin Hagondokov » L. Sandyreva, ed. Svobodny, 2016/ «Русский генерал с кавказским сердцем/ к 145 летию со дня рождения генерала К.Н.Хагондовока», информационный свобрник, Л.Сандырева, 2016;
– « La Circasienne » , Guillemette de Sairigné, ed. Robert Laffont, 2011;
– Les Circassiennes ne meurent jamais, film réalisé en 2012 par Zhansurat Zekorey, journaliste de la télévision Kabarde;

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