L’assimilation et les interdits ont poussé les francophones à abandonner leur langue au début du XXe siècle. Aujourd’hui, des passionnés luttent pour leur survie. Le paw paw, dialecte des premiers colons français du Midwest, est enseigné dans le Missouri par un jeune linguiste américain bien décidé à le faire perdurer. Avant lui, d’autres dialectes français de Louisiane ou du Maine ont connu des destins similaires. De la répression à la préservation, les dialectes français font de la résistance.
Campé sur les hautes terres de l’Ozark, au cœur du Missouri, la petite ville d’Old Mines, peuplée par les descendants de colons français à la fin du XVIIe siècle, abrite un Bar & Grill et une église. Sur un panneau jouxtant ces deux institutions de la ville, on peut lire « Bienvenue à La Vieille Mine ». Dans cette bourgade de l’ancienne Louisiane française – qui s’étendait à l’époque à l’Illinois, au Missouri et à l’Indiana – une poignée d’habitants se distinguent de leurs compatriotes anglophones par leur phrasé et leur accent des plus exotiques.
Le paw paw : un dialecte français du Missouri
Le français du Missouri est une sorte de vieux normand et de vieux breton mêlé de cajun, et prononcé à la québécoise et, assimilation oblige, aujourd’hui teinté d’américain. À Old Mines, comme au Québec, la « voiture » est un « char ». En ce moment, il fait « fraitte » (« froid ») et bien souvent, « ça fait mouier » (« il pleut »). Surnommé paw paw, le Missouri French tire son nom d’un petit fruit local.
Selon les linguistes et les natifs de la région, ces héritiers des colons francophones venus du Canada et de Louisiane par la vallée du Mississippi jusque dans « l’Illinois Country » il y a trois cents ans pour travailler dans les mines de plomb et de charbon, ne seraient aujourd’hui plus qu’une trentaine à parler le paw paw couramment. Dans les années vingt, le linguiste Joseph-Médard Carrière dénombrait six cents familles parlant le paw paw au quotidien. Et, selon une étude, on comptait encore un millier de locuteurs dans les années quatre-vingt.
La disparition de ce dialecte est largement liée à la stigmatisation des langues francophones au début du XXe siècle. « Le paw paw était assimilé à une certaine ignorance et un manque d’éducation. On s’est progressivement interdit de le parler », explique le Pr. Joseph-Edward Price, professeur assistant de français et de linguistique appliquée à la Texas Tech University, et spécialiste des dialectes francophones. « A une époque, on punissait les élèves qui le parlaient en leur tapant sur les doigts », explique-t-il.
Certains, pourtant, refusent de considérer l’extinction programmée du paw paw comme une fatalité. C’est le cas de Nathanael Cruise Alire, vingt-et-un ans, originaire de Denver (CO) et étudiant en linguistique. Passionné par ce dialecte français du Missouri, il a créé l’organisation à but non lucratif « Illinois Country French Preservation Inc ». Avec son partenaire Brandon Curry, co-fondateur de la Harvest Education, une start-up spécialisée dans les services d’éducation et de formation, ils ont offert les premiers cours de paw paw l’été dernier à Ste. Geneviève (MO), une ville fondée au milieu des années 1730 par des Canadiens français.
« Nous avons eu une quinzaine de participants réguliers, à raison de deux cours hebdomadaires durant cinq semaines. Le plus jeune étudiant avait douze ans, l’ainé quatre-vingt-treize. Nous allons renouveler l’opération l’été prochain », se réjouit Nathanael, qui a lui-même appris le paw paw auprès d’un natif d’Old Mines, Kent Bone. « Je n’ai aucune origine francophone. Ma famille est d’origine hispanique, du Nord du Nouveau-Mexique. Mais culturellement, je trouve beaucoup de similarités entre mon peuple et les gens d’Old Mines, malgré le fait que les uns soient francophones et les autres hispanophones. »
Reboiser la forêt à partir d’une petite souche, c’est aussi l’espoir de l’historien et musicien Dennis Stroughmatt. Lui a grandi à Vincennes, dans l’Indiana, où il a été exposé au créole français et à sa musique folklorique. Pour explorer davantage les traditions, il a passé trois ans à Old Mines dans les années quatre-vingt-dix. Il est depuis devenu un ambassadeur du dialecte à travers les chansons. « J’aime transmettre de vieilles histoires en français qui m’ont été racontées par un ancien conteur de La Veille Mine, Pete ‘Paco’ Boyer » explique-t-il. « Sans la musique et l’art, […] sans histoires, on perd notre culture et, en fin de compte, notre langage ».
Article publié dans le numéro de mars 2016 de France-Amérique.