M. Emmanuel Macron, Président de la République française, vous voudrez bien accorder votre attention à une Acadienne qui, à un âge plus que vénérable, vient plaider auprès de vous en faveur de la survie de son peuple.
L’Acadie fut la première colonie d’ascendance française à faire souche au Nouveau Monde, en 1604, créée par Samuel de Champlain, le même qui fondra Québec quatre ans plus tard… soit dit en passant. Mais sous le régime de Louis XV, la France cédera l’Acadie aux Anglais, qui, en 1755, vont procéder à sa déportation massive tout le long des côtes américaines. Ç’aurait pu être la fin de l’histoire d’un peuple. Mais il eut cette revanche, ce courage des héros acharnés, d’une héroïne surtout… appelons-la Pélagie.
C’est à titre d’auteure de Pélagie-la-charrette, le roman qui raconte l’histoire du retour héroïque de mes ancêtres en sol acadien et qui fut le premier prix Goncourt à sortir d’Europe pour atterrir en Amérique, plus précisément en Acadie, si fait, c’est au nom de mon personnage honoré par la France que je me permets de vous faire part, M. le président, de la détresse et des besoins des Acadiens qui de nouveau luttent pour leur survie identitaire, linguistique et culturelle. Il y a un demi-siècle, votre prédécesseur le président Charles de Gaulle avait accueilli une délégation d’Acadiens surnommés les quatre mousquetaires qui venaient supplier le général de sauver ce peuple qui, pour une deuxième fois, était en train de perdre sa bataille contre l’histoire.
Je tiens de première main le récit de cette rencontre historique. Un jour dans mon phare, planté sur les terres de mes ancêtres rentrés d’exil, je recevais l’écrivain Alain Peyrefitte en visite protocolaire en Acadie. Permettez-moi de vous redire en quelques lignes ce que j’ai pu écrire dans les Lettres de mon Phare sous le titre de «J’ai vu pleurer celui qui a vu pleurer de Gaulle». En effet, j’ai vu couler les larmes de l’auteur visionnaire de Quand la Chine se réveillera, le dernier survivant français témoin de la scène où Charles de Gaulle, en entendant l’histoire tragique d’une Acadie en quête de survie, a pleuré sur le sort fragile d’un peuple issu de la France du XVIIe siècle. Et ce jour-là le vent a tourné: le président français a offert son soutien à l’Acadie sous la forme d’un consulat général de France à Moncton.
Au nom de l’épique Pélagie qui ramenait dans des charrettes les déportés qui allaient fonder la nouvelle Acadie; au nom du compatissant président de Gaulle qui deux siècles plus tard en lui offrant un consulat lui accordait sa deuxième chance; enfin au nom de mes contemporains déterminés à garder vivante cette mémoire d’une culture, d’une langue, d’une identité françaises au pays des côtes qui gardent jalousement le nom d’Acadie, je vous pris, M. le président, non seulement de sauvegarder, mais de renforcer le consulat de France de Moncton au Nouveau-Brunswick, le dernier qui nous lie directement à la France sans avoir à passer par les très éloignés consulats de Québec et de Montréal. Il importe de dynamiser la coopération économique entre la France et l’Acadie.
Pour répondre à ceux qui pourraient à juste titre argumenter que le Québec représente déjà fort bien la culture française en Amérique, je soutiens que l’Acadie, de par son ancienneté et son long isolement après sa chute sous la domination anglaise, fut doublement forcée de lutter pour conserver sa mémoire, sa culture, sa langue vieille de l’époque de Rabelais, et qui trouve même écho, je l’ai vérifié, jusque dans les Serments de Strasbourg. Un célèbre ethnologue international a osé classer sa littérature orale comme la plus riche de la francophonie. Pour toutes ces raisons, et ajoutons plus fondamentale, celle d’un peuple qui ne peut se résoudre à mourir; je m’adresse à vous, M. le président.
Avec mon profond attachement à mes lointaines origines qui remontent au XIIe siècle aux trois frères Maillet, chefs de la guilde des maçons qui sculptaient le portail de Notre-Dame de Paris, et avec la ferme volonté d’une communauté de poursuivre la lutte qui dure depuis quatre siècles pour garder vivant l’un des fleurons de la France doublement millénaire transplanté en Amérique, permettez-moi de croire à votre soutien.
Veuillez accepter, M. le Président, l’expression de mon admiration, de ma gratitude et de mon respect le plus sincère.
Antonine Maillet [[Ce texte est reproduit sans accord particulier mais son importance le rend significatif pour LRF]]
Montréal