Par Jean-Christophe Parisot, préfet en mission, tétraplégique
Le préfet Jean-Christophe Parisot, médaillé d’or de La Renaissance Française, est atteint depuis l’enfance d’une myopathie dite « des ceintures » qui le paralyse entièrement, l’empêchant de soulever une simple feuille de papier, de décrocher un téléphone, ou de prendre ceux qu’il aime dans ses bras.
Rien de cela ne l’empêche de remplir les missions qui lui sont confiées. Il fut un proche collaborateur de Gilles de Robien, ancien ministre, maire d’Amiens. Il fut nommé secrétaire général de la préfecture du Lot, à Cahors, avec le titre de sous-préfet. Puis préfet en mission chargé de la lutte contre le racisme et toutes les formes d’exclusion. Il est chevalier dans les ordres de la République : Légion d’Honneur, Mérite National.
Sa myopathie l’expose à d’intenses douleurs, à une surveillance continuelle jour et nuit avec la présence d’aides-soignants, à des séances quotidiennes de kinésithérapie, à une assistance pour ses repas (il ne peut pas se nourrir lui-même), et accomplir tous les gestes de la vie.
Il vient d’écrire ce magnifique témoignage de sa vie de tétraplégique dont voici le texte intégral :
De ma fenêtre, j’entends le concert pour les héroïques blouses blanches.
A vrai dire, les soignants, je les fréquente depuis quarante-cinq ans. Tétraplégique sous assistance d’un respirateur (on dit H24 pour les novices), près de deux mille soignants se sont occupés de moi. A eux, ces lignes je voudrais dédier.
J’en ai vu défiler de toutes sortes : médecins, infirmières, aides-soignants, kinés, ambulanciers ou brancardiers, libéraux, intérimaires ou hospitaliers. Beaucoup étaient ordinaires appelés de façon extraordinaire à soigner le petit peuple des vieux, traumatisés, accidentés, handicapés, malades ou alcoolisés. Je ne me rappelle plus de leurs visages ni de leurs noms. Je sais juste que beaucoup étaient gentils, bienveillants et bons. C’était surtout des femmes et elles étaient jeunes, souvent.
Jamais je n’oublierai celle qui m’a serré fort dans ses bras quand sous anesthésie locale on m’a posé une trachéo. Jamais je n’oublierai ces mains chaleureuses posées sur mon pied, mon épaule ou ma joue pour me rassurer. Non, je n’oublie pas ceux qui se sont excusés de me faire mal avec aiguilles, drains ou sondes, qui ont frappé à la porte de ma chambre avec gaieté.
J’en ai connu des souriants et d’autres qui ne me regardaient pas. Des gens qui me parlaient de leurs parents. D’autres qui se parlaient entre eux comme si j’étais inexistant Des bavards invétérés et des muets glaçants. Ceux qui me demandaient mon métier ou le prénom de mes enfants assez pour oublier celles pour qui j’étais un objet insignifiant.
Je n’oublie pas les infirmières à 80%, celles qui n’ont pas de quoi se payer un studio après avoir passé leur journée dans huit chambres d’alités.
J’ai aimé l’eau chaude passée doucement sur mon corps. J’ai aimé ceux qui m’ont proposé une douche même si la dernière datait d’hier.
Certains en me voyant ont dit qu’ils savaient tout, en réalité je préfère ceux qui veulent apprendre.
J’aime ceux qui préfèrent la juste présence à la juste distance, ceux qui quittent leur service en me prévenant qu’ils ne seront pas là le demain.
Il y a toujours un demain quand on aime l’humain.
J’aime ceux qui restent pour ne pas me laisser seul, je suis triste pour ceux qui m’oublient sur un bassin.
Il y a ceux qui pensent aux soins, occultant ceux qui calculent à la minute près.
A la télé du soir, je n’aime pas qu’on célèbre la mort d’un docteur si c’est pour oublier l’infirmière ou la fille de salle. Je n’aime pas les remises de légion d’honneur aux médecins qui dans leur discours ne disent pas un mot de leurs malades.
En partant, certains m’ont remercié d’avoir vécu un beau moment d’humanité même si certains qui m’ont soigné des mois s’en sont allés sans me dire bonne suite ou avec un froid et glacial courrier.
J’ai eu des fous rires avec certains, envie de crier ma colère avec d’autres. Beaucoup m’ont parfumé la tête pour que je me sente bien même si quelques-uns sentaient la transpiration, puaient le tabac ou le renfermé.
Certains m’ont apporté du vin, prêté des livres, confié secrets et parfois prière préférant oublier les quelques moutons noirs qui m’ont volé, argent, montre, drap de bain, gants et autres sopalins.
Merci à mon pays de m’avoir soutenu quand je n’en pouvais plus. Merci à ces soignants qui aiment travailler dans la si belle fraternité cachée.
Merci à toutes celles et ceux qui veillent et qui consolent, qui soulagent et qui ne ménagent pas leurs efforts, qui nous lavent et mettent leurs mains pour évacuer nos selles, tout ça pour une bouchée de pain. Merci à celles et ceux qui ne prennent pas le temps de manger préférant nous soulager.
Je pense à ces respirateurs difficiles à faire fonctionner et à ceux qu’il va falloir former.
Puisse ce virus révéler notre vraie humanité.