Au moment où nous célébrons, confinés, le 75e anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale, les discussions se multiplient pour juger la place réelle des Alliés dans la victoire finale. La Guerre froide (1947-1991) a promu l’importance des Etats- Unis dans la victoire au détriment de celle de l’Union soviétique. Ainsi un sondage IFOP, concernant le vainqueur de la seconde Guerre mondiale, donne les chiffres suivants :
Depuis 1947, les Etats-Unis développent une stratégie permanente pour affirmer leur rôle essentiel dans la libération de l’Europe. Aujourd’hui, de nombreux manuels scolaires relaient ces assertions. Qu’en est-il réellement ?
Pour commencer, il convient de relever les pertes militaires des alliés sur les champs de bataille de l’Europe. L’estimation du nombre des militaires tombés sur les champs de bataille de l’Europe est de 17 877 000 (dont 10 774 000 du côté des Alliés et 7 103 000 du côté de l’Axe). L’Armée rouge constitue 53% du total des pertes connues en Europe ; l’Allemagne nazie constitue 31% du total des pertes ; le Royaume Uni, 1,8% ; la France, 1,4% et les Etats Unis, 1,3%.
Les chiffres sont évidents. Sur le plan militaire, l’URSS a fourni le plus grand effort et subie les plus lourdes pertes dans les combats de libération de l’Europe. Sur le plan militaire, c’est bien l’URSS qui a libéré l’Europe du nazisme comme l’illustre l’image du drapeau rouge porté sur le Reichstag par un géorgien de l’Armée Rouge.
Ces faits s’expliquent en partie par le refus systématique des Anglais et des Américains d’ouvrir un second front en Europe. Une ouverture demandée par les Soviétiques depuis 1942, mais constamment refusée par W. Churchill, occupé par la défense de l’Empire et Th. Roosevelt, très hostile à de Gaulle.
L’armistice qui devait arrêter les combats fut signé successivement dans deux villes, Reims puis Berlin. A Reims, l’armistice fut signé le 7 mai 1945 par les généraux américains D. Eisenhower et N.B. Smith, par le général français F. Sevez (le second du général Juin), le général soviétique Sousloparov et le maréchal allemand A. Jodl. Les combats devaient s’arrêter le 8 mai à 23 h 01.
Cet armistice de Reims provoque la fureur de Staline qui exige une capitulation à Berlin. Notons que le général de Gaulle était toujours marginalisé. La fureur de Staline est honorée car le texte de Reims prévoyait qu’une signature pouvait être renouvelée si l’un des Alliés refusait d’apposer sa signature.
L’armistice de Berlin est signé dans une villa de Karlhorst, QG de Joukov, à 00h 16 (heure russe) et 23h 16 (pour l‘Occident), ce qui explique que les Russes célèbrent l’armistice le 9 mai. Il faut souligner que les signataires passèrent un long moment à discuter de la présence de la France à la table de signature. Il fallut toute l’habileté et le talent du général de Lattre de Tassigny, pour arracher aux Alliés la présence de la France.
Le maréchal Joukov préside la séance avec à sa gauche, Spaatz et de Lattre, à sa droite, Tedder et Vychinsky. Entrent alors les Allemands : le général Keitel avec derrière lui l’amiral von Friedenburg et le général Stumpf, derrière eux 6 officiers marins et aviateurs. Tous sont en grande tenue et gagnent la table qui leur est attribuée. Le dialogue s’instaure en russe et allemand, avec traduction en anglais, pour vérifier leur capacité à signer l’armistice. Ce point acquis, Keitel se lève pour rejoindre la table présidée par Joukov et s’asseoir à la place demeurée vide auprès de de Lattre. En passant, il maugréa « à côté d’un Français, c’est un comble ». Keitel signa à 00h20. Le texte fut signé successivement en 9 exemplaires et traduit en trois langues, russe, allemand et anglais. Les Alliés explosèrent de joie pour ce moment qui marquait la fin de la deuxième guerre mondiale.
En conclusion, j’espère que ces arguments permettent de mieux replacer la place de chacun des Alliés ; de noter que la France du général de Gaulle est soigneusement tenue à l’écart et que les documents ne sont jamais traduits en français. Lors de la division des secteurs d’occupation de l’ex troisième Reich, il n’y eut que trois parts, russe, américaine et anglaise. La France reçut un secteur pris sur ceux donnés aux Américains et Anglais. Les Français occupèrent leur zone le 26 juillet 1945 et le 12 août 1945 ils reçurent deux secteurs de Berlin Reinikendoff et Wedding. Le QG français était établi à Baden Baden.
Jean-Pierre Arrignon
Président de la délégation Nord-Pas de Calais
Professeur Honoraire des Universités, Docteur Honoris Causa de l’Université de Iaroslavl (Russie), spécialiste de la Russie, auteur de plusieurs articles et ouvrages sur la Russie, notamment: « La Russie Médiévale » ed. Les Belles Lettres; « Russie » ed. PUF; Histoire de la Russie ed. Perrin (parution en septembre 2020).