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GEORGIE : Tbilissi, creuset de la naissance de la scène musicale classique géorgienne

par La Renaissance Française

PAR GEORGES BERAIACHVILI

En Géorgie, le développement de la musique classique – c’est-à-dire de la musique de tradition européenne – a commencé vers le milieu du 19e siècle. L’évènement qui a donné une forte impulsion à cette évolution est l’inauguration du théâtre d’opéra à Tbilissi en 1851. Ce théâtre est aussitôt devenu un pôle culturel majeur. Les représentations y étaient données par des troupes italiennes et russes d’une excellente qualité.
Une première école de musique à Tbilissi est créée en 1886. En 1917 elle deviendra le Conservatoire supérieur de Tbilissi. La scène musicale classique a connu déjà au 19e siècle plusieurs interprètes géorgiens remarquables. Depuis, la Géorgie est devenue une véritable pépinière d’excellents musiciens, chanteurs lyriques et chefs d’orchestre. Mais mon intervention d’aujourd’hui concerne un autre segment de la culture musicale, celui de l’art des compositeurs.
Etant donné l’ampleur du sujet et la brièveté du temps qui m’est imparti, je ne vais pas dresser un tableau d’ensemble. Je vais plutôt vous présenter trois œuvres que j’ai choisies, qui sont relativement peu connues du grand public, et à travers lesquelles on peut se faire rapidement une idée de la qualité magistrale et de la diversité extraordinaire de la création musicale en Géorgie.

La première pièce sera Choral de Niko Sukhanishvili (1871–1919). Sulkhanishvili est un des cinq pères-fondateurs de l’école géorgienne de composition que l’historiographie musicale géorgienne appelle « les classiques ». Les quatre autres sont : Zakaria Paliashvili, Meliton Balanchivadzé, Dimitri Arakishvili et Victor Dolidzé. De manière générale, cette première période est marquée par la prédominance de la musique vocale, et tout spécialement de l’opéra. Deux chefs-d’œuvre de Paliashvili – les opéras Abessalom et Eteri (1919) et Daïsi (1923) – sont restés emblématiques pour toute la culture géorgienne.
La musique des « classiques » est déjà entièrement marquée par le souci de synthèse entre la musique européenne et différents styles de musique traditionnelle géorgienne. Choral pour chœur mixte de Niko Sukhanishvili est un bel exemple de cette démarche. Le compositeur y réalise une fusion très organique entre le chant polyphonique traditionnel et l’harmonie classique européenne. Il est le premier à avoir assimilé de cette façon l’idiome musical traditionnel de la Géorgie de l’Est. Malheureusement une très grande partie de son œuvre a été perdue. La malle qui contenait l’ensemble de sa musique – essentiellement des pièces pour cœur et un opéra inachevé – aurait disparu le jour de la mort du compositeur. Nous ne connaissons aujourd’hui que sept de ses compositions.

La deuxième œuvre – Danse-fantaisie de Bidzina Kvernadzé (1928-2010) – appartient à la période 1950-1970, pendant laquelle la musique géorgienne a connu un développement fulgurant. Toute une cohorte de jeunes compositeurs ont alors exploré tous les genres de musique instrumentale, vocale et scénique. Leur maîtrise de l’écriture et de la forme musicales ont atteint de nouvelles hauteurs.
La pièce symphonique Danse-fantaisie a été écrite en 1959. Je l’ai choisie pour ce colloque parce qu’elle témoigne d’une influence française sur la musique géorgienne. En effet, les premières influences à travers lesquelles s’est constituée la musique classique en Géorgie étaient celles de compositeurs italiens et russes. L’influence française, notamment celle de l’impressionnisme de Debussy et Ravel, apparaît beaucoup plus tard, vers les années 1950. Mais elle est assimilée de manière très naturelle. Il faut remarquer que dans l’art géorgien en général, notamment dans l’art plastique, on observe souvent une certaine affinité avec la culture française, à la différence, par exemple, de la culture allemande qui reste plus distante.
Dans Danse-fantaisie on perçoit aussi très nettement l’atmosphère des films géorgiens de la même époque – une sorte de fraicheur printanière. D’ailleurs Bidzina Kvernadzé a fait beaucoup de musique de film et de musique théâtrale. Son œuvre comprend également un opéra, deux ballets, deux symphonies, plusieurs concertos, pièces symphoniques, cantates, morceaux pour piano et mélodies.

La troisième pièce que je vais vous présenter relève d’une toute autre esthétique – celle de l’avant-garde musicale (souvent appelée « musique contemporaine »). Il s’agit d’une pièce pour piano, Exercice (1972) de Mikheil Shugliashvili (1941-1996), artiste unique et inimitable.
Shugliashvili a créé sa propre approche, sa propre technique de composition, marquée par une logique constructiviste, une pensée musicale quasiment algorithmique. Extrêmement originale, sa musique peut tenir tête à n’importe quelles meilleures réalisations de l’avant-garde du 20e siècle. La démarche artistique de Shugliashvili est souvent comparée à celle du compositeur gréco-français Iannis Xenakis. Ce rapprochement est valable non seulement en raison d’une pensée adossée aux mathématiques chez les deux compositeurs, mais également en raison d’une rare puissance d’expression de leur musique qui n’a rien de « froid » et mécanique.
La musique de Shugliashvili, et on l’entend avec force dans Exercice, est un flux sonore à la fois puissant et strictement organisé, alternant divers rythmes, registres et densités, progressant inexorablement à travers contractions, raréfactions et culminations telluriques.
L’œuvre de ce compositeur, constituée en tout d’une vingtaine de pièces, n’a pas été promue de son vivant. Durant la période soviétique elle paraissait trop insolite, voire provocatrice. Shugliashvili était surtout connu et apprécié en tant que pédagogue et professeur, créateur d’un système original et remarquable d’enseignement de la formation musicale.
Aujourd’hui, Mikheil Shugliashvili est devenu une sorte de légende dans les milieux d’initiés. Sa musique, bien que hautement appréciée, reste rare dans les salles de concert. Certaines de ses compositions d’envergure attendent toujours l’heure de leur création. J’espère que dans les années qui viennent les spécialistes et les amateurs de la musique auront la joie de les découvrir.

G. B.

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