L’équipe du « Masque et la Plume » lors de la célébration du 60è anniversaire de l’émission (photo : France Inter)
PAR PIERRE MABIRE
La plus ancienne des émissions radiophoniques en Europe est française. Créée en 1955 par la station « Paris Inter », aujourd’hui « France Inter », elle est entièrement consacrée au domaine culturel – littérature, théâtre, cinéma, opéra.
Il s’agit du « Masque et la Plume » que dirige le journaliste Jérôme Garcin, successeur à cette fonction de Francis-Régis Bastide et de Pierre Bouteiller, ses fondateurs avec le succulent Michel Polac.
L’indépendance, sans coupure ni montage
Cette émission diffusée le dimanche soir à partir de 20 heures, est en tête de toutes les stations sur cette tranche horaire, captant environ 700 000 auditeurs.
La force du « Masque et la Plume » est, sans contestation possible, son indépendance. La critique – qui ne supporterait pas un formatage idéologique ou politique – est entièrement libre.
Les enregistrements réalisés dans les conditions du direct le jeudi à la Maison de la Radio sont diffusés sans coupure ni montage. Les ciseaux de la censure ne sont pas des outils de travail de la production.
Ses animateurs revendiquent une subjectivité entièrement assumée sans laquelle il ne pourrait y avoir de critiques contradictoires. Cela vaut, certains soirs, des déboulonnages de vedettes statufiées du monde des arts et de la littérature. Mais, a contrario, contre l’émission. des attaques sévères. La dernière offensive à laquelle France Inter dut faire face en 2020 fut l’accusation par Médiapart, site d’information français très influent, de misogynie et de sexisme.
La directrice solidaire des chroniqueurs
L’accusation visait principalement deux chroniqueurs qui, à diverses reprises, avaient considéré des actrices et auteures bien plus pour la plasticité de leur corps que pour leur talent. Face à Médiapart, Laurence Bloch, directrice de France Inter les avait défendus en invoquant la liberté d’expression et la spécificité d’une émission où chacun est à la recherche du « bon mot » pour faire le show.
Elle avait comparé le programme à « une scène de théâtre – on pourrait dire un ring de boxe. C’est aussi un café du commerce ». Pour elle « pas de sexisme » mais des remarques parfois « à la limite » et des « excès » attendus par les auditeurs.
Le sabordage de 1960
Cet incident de parcours ne fut rien à côté de cette page d’Histoire durant la guerre d’Algérie. En 1960, les producteurs et animateurs avaient préféré saborder l’émission plutôt que se plier à la note de la direction qui recommandait de ne pas citer des œuvres d’auteurs et des noms d’artistes signataires du « Manifeste des 121 » qui appelaient les jeunes appelés du contingent « à refuser de prendre les armes contre le peuple algérien ».
Jean-Louis Bory, une voix du « Masque » que les anciens auditeurs n’ont jamais oubliée.
Parmi les signataires se trouvait Jean-Louis Bory (Le Nouvel Observateur), l’un des piliers de l’émission, dont les vives altercations avec Georges Charansol (Les Nouvelles Littéraires) faisaient les délices du public.
Mais comment aussi produire « Le Masque et la Plume » en faisant silence sur des œuvres signées Marguerite Duras, Françoise Sagan, Simone de Beauvoir, Claude Lanzmann, François Maspero, Théodore Monod, Edouard Pignon, Alain Raisnais, Jean-François Revel, Alain Robbe-Grillet, Jean-Paul Sartre, Simone Signoret, Laurent Terzierff, Pierre Vidal-Naquet, Nathalie Sarraute, Vercors ?
Le silence dura six mois et « Le Masque et la Plume » revint à l’antenne avec une parole libérée de toute injonction de dire ou ne pas dire. Aucun de ses auditeurs ne lui manqua.
Elisabeth Philippe, première émission le 17 octobre
La richesse du « Masque et la plume » est de réussir son rajeunissement sans rupture avec ses chroniqueurs les plus âgés. La dernière arrivée est Elisabeth Philippe. Elle devait enregistrer son premier « Masque » en compagnie de Patricia Martin (France Inter), Olivia de Lamberterie (Elle), Arnaud Viviant (Transfuges) et Jérôme Garcin, pour une diffusion programmée le 17 octobre. Aucun départ d’un « vieux » n’est annoncé. L’amalgame des générations est une marque de fabrique de l’émission.
Elisabeth Philippe fut lauréate du Prix Henessy 2016 qui distingue chaque année depuis 2008 un journaliste pour la qualité de ses écrits parus dans la presse française et francophone sous forme de critiques, chroniques, interviews, reportages ou portraits. Photo : Livres Hebdo
« Elisabeth est une très bonne critique qui vient, par la même occasion, rajeunir les cadres (de l’émission) », expliquait récemment Jérôme Garcin.
Journaliste culturelle à l’Obs depuis 2017, la nouvelle chroniqueuse a auparavant occupé le poste de responsable des pages Livre du magazine Vanity Fair et travaillé à la rédaction des Inrocks.
Pour retrouver l’émission en ligne :
https://www.franceinter.fr/emissions/le-masque-et-la-plume