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Une promenade dans les églises du Sud-Ouest de la France. Un article de Daniel Laonet

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Les vitraux de Jean-Dominique Fleury, le technicien de Pierre Soulages

I- UN VERRIER-CREATEUR

Quand il s’installe comme verrier en 1972, après ses années d’études dans des académies de peinture et à l’Ecole des Métiers d’Art à Paris, se pose à Jean-Dominique Fleury la question de sa reconnaissance comme artiste-créateur (1). La raison en est la situation du vitrail en France. Dans la suite du renouveau de l’Art Sacré, après la Libération, cet art relève pour beaucoup de peintres qui, n’étant pas verriers, ont recours à des praticiens pour l’exécution de leurs cartons. Parmi ces peintres connus du grand public pour leur réalisations verrières citons Léger, Vieira da Silva, Jacques Villon, Chagall, Bazaine , Manessier… Or dans les années 1970 les jeunes verriers se désignent comme créateurs, donc à l’égal des peintres, mais créateurs dans ce matériau spécifique qu’est le verre. Pour les commanditaires il leur faut exister comme tels et non seulement comme restaurateurs de vitraux anciens ou techniciens pour les autres artistes. Ce souci nouveau se trouve ancré dans le projet professionnel de Jean-Dominique Fleury.

Mais il est une autre question identitaire : est-il verrier pour l’architecture ou pour la peinture ? Dès le début de sa carrière il réalise des vitraux qui sont comme des tableaux de chevalet, des panneaux dont les dimensions et la définition mobilière font d’eux des objets d’art. Il est donc un peintre qui utilise le verre comme d’autres la toile et le papier. Mais comment se fait le passage entre ces objets mobiliers et le vitrail immobilier ? Se manifeste alors un autre aspect, essentiel, de sa personnalité d’artiste-verrier : l’espace qui apparaît très tôt comme une composante de sa création. Il dit que le vitrail d’architecture est le prolongement de son idée de la peinture : « A un moment je n’ai pas dissocié les deux : peinture et vitraux dans les architectures. Les vitraux sont le reflet de ma peinture ». En 1979 François Mathey, directeur du Musée des Arts Décoratifs à Paris, l’encourage dans cette voie : « Vos vitraux m’intéressent beaucoup. Je crois que vos recherches répondent à un besoin permanent de l’architecture précisément dans la mesure où vous avez le sens de la tradition » (2)

Ces deux questions, celle de l’identité comme verrier-créateur et celle du champ de sa création, sont au cœur du fonctionnement de l’association Hyalos à laquelle il adhère. Hyalos (cristal, verre, en grec) est une association active de 1977 à 1984. Elle rassemble constamment dix artistes – avec peu de changement de personnes pendant ces sept années – dont, pour notre région, Henri Guérin, qui semble peu impliqué. Dans ses statuts est désigné sans ambiguïté le problème de la démarcation d’avec ces peintres à qui les autorités culturelles donnent les chantiers du vitrail : « Hyalos regroupe des Artistes qui créent et réalisent des vitraux….Par leurs créations et la connaissance des matériaux, ils tiennent à donner à cet art une nouvelle impulsion, ouvrant une voie qui diffère nettement de celle du « Peintre » qui à l’occasion projette une œuvre et du « Verrier » qui l’exécute » (3). Ni concepteur seulement, ni exécutant seulement. Les membres de Hyalos ajoutent que, dans leur liberté, ils peuvent bousculer les tabous. Il s’agit donc d’un programme volontaire, et son action sera de faire connaître ses membres aux instances qui comptent. Il y a le Ministère de la Culture pour les subventions et les commandes, l’édition de livres, la diffusion à l’international. Hyalos est aussi présent auprès de la Commission Nationale du Vitrail (C.N.V.), du Centre International du Vitrail (CI.V.) à Chartres et auprès des musées. A Jean-Dominique Fleury l’association donna mandat pour la représenter dans la préparation du chantier qui allait être la grande affaire du moment : l’installation de vitraux sur 1500 m2 dans la cathédrale de Nevers. Son rôle en commission fut d’apporter un point de vue de verrier-créateur pour l’élaboration du dossier du concours. Mais les conditions réelles du marché contrecarrent en partie la volonté du groupe. La création exclusive est un idéal et en fait les associés de Hyalos réalisent beaucoup de vitraux pour des peintres. Dès lors, en 1981-82, est mise en débat une définition plus souple de la création : il est proposé d’admettre que réaliser pour d’autres est aussi une interprétation, selon l’idée qu’interpréter c’est créer.

Pour Jean-Dominique Fleury il est d’autres manifestations de son activité comme créateur : ce sont les expositions où il présente ses panneaux de verre, avec ou sans Hyalos. Il participe en 1979 à une exposition collective à l’Abbaye de Beaulieu sous le titre « Empreintes d’un territoire » (4). Puis c’est en 1980 la participation à l’exposition « Les Métiers de l’Art » au Musée des Arts Décoratifs, puis aux Foires de Bâle, de Zurich…

Dans toute sa carrière Jean-Dominique Fleury pratiqua – c’est la condition de équilibre financier d’un atelier – la restauration et l’aide technique. Mais son œuvre première est de création. C’est dans les départements du Tarn et du Tarn-et-Garonne que son art s’est formé, dans des églises dont l’entretien relève des Bâtiments de France. C’est une aire géographique assez restreinte déterminée par la fixation de ses deux premiers ateliers/domiciles, d’abord à Penne (81) un court temps et ,dix kilomètres plus loin, à Bruniquel (82). Puis il y eut un troisième atelier, à Toulouse. Ces installations amènent à distinguer deux périodes présentant, pour les seuls vitraux d’architecture, et non pour les vitraux de chevalet, des différences déterminantes. Elles sont moins dues à une évolution de son esthétique qu’aux capacités de ses ateliers. Penne n’étant cité que pour mémoire, Bruniquel, à partir de 1974, n’est pas adapté pour recevoir un grand four, ce qui en limite les possibilités techniques. L’atelier de Toulouse, au contraire, était suffisant pour lui permettre de grandes opérations de cuisson et le travail d’une équipe de collaborateurs qui donneront une autre direction à son art architectural.

II- LES ATELIERS DE PENNE (1972-1974) ET DE BRUNIQUEL (1974-1978)

1- Le verre antique et le plomb, la peinture

Dans cette première période jusqu’en 1977-78, il installe des vitraux dans huit églises du Tarn et du Tarn-et-Garonne. Pour le matériau et la technique, dans six cas, il reprend une pratique courante des années 1950-70 : des morceaux de verre sont sertis dans un réseau. Il met en oeuvre le verre antique, et non la dalle de verre, le plomb et non le ciment, et pratique un dessin non-figuratif. Avec cette technique le geste de l’artiste, consistant à découper et à assembler, ne laisse pas de trace concrète dans l’œuvre achevée. C’est à sa fabrication à l’usine que le verre acquiert sa couleur, normalement sans nuances, mais avec des dégradés par exemple du rouge à l’orangé en cas de ratés de cuisson. Jean-Dominique Fleury le découpe à la forme voulue et le sertit de plomb. Cependant ce métal n’est pas qu’un principe d’assemblage ; il pourra aussi constituer un dessin.

Dans deux cas, on trouvera une autre façon de travailler le verre antique : le peindre.

Pour déterminer la personnalité d’artiste de Jean-Dominique Fleury, on fera plusieurs groupes de ses huit premières œuvres, selon des critères pertinents où peut se percevoir une évolution chronologique.

Couleur : Penne et Saint-Barthélémy de Lauzerte

Le premier groupe, celui des églises paroissiales de Penne et de Lauzerte, a pour critère une recherche d’harmonie colorée et le verre y tient le premier rôle. Dans les trois vitraux de la petite église gothique de Penne (1972) dominent des couleurs chaudes très assourdies, avec des lignes de découpes courbes, mais finalement c’est une œuvre qui se démarque peu de l’esthétique courante de l’époque. Aucun trait particulier d’une personnalité artistique n’y émerge encore.

L’église paroissiale de Lauzerte continue cette base esthétique. Mais des principes plus complexes, relevant toujours du langage de la couleur, y sont présents. Ce sont ceux de l’ordre et de l’expression pour une grande rosace donnant à l’ouest (fig.1). Elle est de style gothique avec de longs et forts remplages qui lui font une structure parfaitement rayonnante. Contre cet ordre de la pierre, Jean Dominique Fleury installe un autre ordre : le cercle. A l’élan des rayons fusant d’un seul jet, il commence par opposer la fragmentation poussée, en calibres et en diversité de couleurs, des morceaux de verre. Ensuite, contre le droit des rayons, par le jaune et le rouge dans les hautes positions, il donne à la figure un mouvement circulaire. Ces mêmes jaune et rouge lui donnent une identité solaire que le bleu, froid et un cran en–dessous, met en valeur.

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Figure 1Eglise paroissiale de Lauzerte Rosace

Entre 1975 et 1977 Jean-Dominique opère une révolution esthétique où l’harmonie par la couleur cède du champ à l’expression dessinée et à une prise en compte des suggestions de l’architecture. C’est en plaçant beaucoup de verres transparents à peine teintés qu’il abaisse l’intensité de la couleur. En revanche le réseau de plomb acquiert une autonomie expressive. Trois chantiers lui permettent d’appliquer un programme prenant en compte une unité de lieu : tout le clocher de l’église Notre-Dame de Beaumont-de-Lomagne (1976), toute l’église de Touffailles (1976-77), et la nef entière de l’église des Carmes à Lauzerte où les vitraux sont au nombre de huit.

Plomb et transparence : Les Carmes de Lauzerte,

Pour cette deuxième église de Lauzerte Jean-Dominique Fleury dessina sur des papiers-calques autant de trames plaquées sur les fenêtres. Pour les deux oculi de l’ouest, identiques dans leur forme, il fit glisser le même dessin en les opposant. Le plomb dépasse sa fonction de sertissage pour répliquer les dessins d’atelier. Ce sont des réseaux très serrés, loin des courbes de Penne et de Lauzerte-Paroisse. Des assises horizontales obstinées les structurent solidement, et sur ces strates jaillissent les figures verticales, des obliques serrées, droites, nerveuses, électriques (fig.2). Elles restituent l’énergie, peut-être la violence, de la main qui dessine. Ces plombs retiennent d’autant plus le regard qu’ils ressortent sur des verres presque transparents. Au sud surtout, dont les cinq vitraux ne présentent aucune profondeur de couleur et laissent passer beaucoup de la lumière du dehors. Dans leur discrétion ces verres sont plutôt une note colorée sur le mur. En face au nord, et à l’est, on retrouve cependant des verres aux rouges et orangés profonds, mais cernés par des verres clairs : cette union du rouge et de l’orangé réapparaîtra plus tard magnifiée et accrue, à Montricoux.

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Figure 2Eglise des Carmes Lauzerte Vitrail ouest

Plomb, transparence, architecture : Beaumont-de-Lomagne et Touffailles

A Beaumont-de-Lomagne le dessin se déploie en accord avec une architecture idéale. Les vitraux ont été installés dans la tour du clocher qui s’élève d’un seul jet, du sol à la voûte, sans adventices. C’est une pièce octogonale tout en briques. Cinq fenêtres étroites et hautes, identiques, percent cinq côtés sur l’extérieur en y prenant la lumière. Jean-Dominique Fleury parle toujours de l’architecture comme la condition de ses vitraux : « J’ai fait les vitraux en fonction de l’architecture  et de la lumière». Ici, il s’accorde à elle par les deux composantes de ses vitraux, le dessin et la couleur. Il modère l’élancement vertical par un dessin horizontal : il n’en réalise qu’un seul qui passe de l’une à l’autre fenêtre, avec des filets de plomb un peu lâches mais continus (fig.3). Cohérence et unité : il enferme dans leurs strates les couleurs  dans la même course qui passent encore d’une fenêtre à l’autre : en bas l’orangé, en haut le bleu et le gris, au milieu une fine ligne rouge. Pour la fonction éclairante, les vitraux sont dans une tonalité plus basse que celle du mur. Il y a une réelle opposition entre l’ombre du lieu qui est respectée, et la lumière : Ce n’est plus l’harmonie solaire de l’église paroissiale de Lauzerte mais, comme aux Carmes, la transparence. Les couleurs du mur avec leurs altérations dues au temps – le gris impur du salpêtre, le rouge éteint des briques, le beige terreux des assises – déterminent celles des vitraux : elles sont toutes de tonalité rabattue, autour de l’orangé et du brun, avec des mineures vertes et bleues, et portant autant de lumière naturelle que de pigments.

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Figure 3Eglise Beaumont-de-Lomagne Clocher

A Touffailles il s’agit du même rapport entre dessin, couleur et architecture. Toutes les fenêtres reçevant des vitraux, Jean-Dominique Fleury prend en compte tout le volume architectural. Une scénographie est aménagée. Une ligne symbolique est tirée du chœur au narthex. Les couleurs de ces deux fenêtres axiales sont identiques ; mais celle du narthex est plus petite et c’est en écho que ses vitraux répondent à ceux du choeur. Sur les côtés les autres vitraux, un ton en dessous, se soumettent à cette ligne maîtresse. Et, principe d’unité, sur ces murs latéraux règne de chaque côté un composé de tonalité dominante : le jaune-marron-brun à l’est, le vert-rose à l’ouest. Mais ce qui s’impose c’est la transparence. Les vitres, en grande majorité, sont à peine teintées et donnent une bonne clarté à l’édifice. Il s’agit de laisser visibles les fresques qui ornent tout le plafond. Les couleurs des vitraux rappellent celles des fresques. Il y a, à Touffailles comme à Beaumont-de-Lomagne, le parti de laisser à l’église la lumière qui convient pour mettre son espace en valeur.

Et dans cette scénographie fonctionne un signe symbolique fort pour la dramatisation de cet espace comme architecture hiérarchisée : une haute coloration, le rouge et le brun, opaques, quasi inexistants ailleurs, singularise et relève les trois vitraux du chœur (fig.4).

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Figure 4Eglise paroissiale Touffailles Choeur

Dans cette ambiance de transparence le dessin par le plomb acquiert une place importante. Les vitraux sont dessinés comme des carrelages rappelant en lignes, tonalités et irrégularité le vieux pavage usé qui recouvre tout le sol de l’église.

Couleur, plomb : Montricoux

Si nous créons une quatrième étape pour l’église de Montricoux c’est pour son traitement coloré. L’expression dessinée par le plomb s’y trouve encore, ainsi que, bien que réduite en surface, la transparence. Mais la couleur retrouvée va au-delà de la seule harmonie. Il y a dans l’église de Montricoux une recherche extrême. Elle va dans le sens de la domination, dans les quatre baies, d’un couple de couleurs voisines, le rouge et l’orangé (fig.5). Le dessin est encore très travaillé, nerveux, comme il a pu l’être à Lauzerte-Carmes et à Beaumont-de-Lomagne : les réseaux de plomb se répondent d’une baie à l’autre, convergent, s’opposent, toujours ascendants et donnent une cohérence à cet espace. Ils portent en eux la force des ruptures, et, en accompagnant quelques verres froids et translucides, ils déchirent ce bloc rouge et orangé, compact et dominateur.

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Figure 5Eglise paroissiale Montricoux Sud

Dans son parti extrême et expressionniste, Montricoux se présente comme une continuité inversée de Lauzerte-Carmes. Le mode de chacun de ces sites repose sur la domination d’un moyen privilégié, mais contraire de l’un à l’autre : le dessin d’un côté, la couleur de l’autre. Un autre lien, discret mais très fort unit encore les deux sites : lorsqu’à Lauzerte, dans les petits vitraux du mur oriental, la couleur reprend un peu du champ laissé ailleurs à la transparence, c’est le même verre rouge-orangé qu’à Montricoux qui est employé. Jean-Dominique Fleury dit de Montricoux que c’est la dernière fois qu’il emploie ce « rouge criard ». Son esthétique désormais va prendre d’autres voies, radicalement autres.

Verre antique peint : Beaulieu et Bourg-de-Visa

Dans cette première période Jean-Dominique Fleury eut recours à une autre esthétique que celle des verres antiques sans apprêts : pour deux églises il installa des verres peints. La première (1974) est celle de l’abbaye de Beaulieu à Ginals. C’est un édifice dont il fallu prendre en compte l’ampleur du volume, la grande clarté de la lumière, la blancheur de la pierre et le caractère cistercien. Le choix des rénovateurs fut d’installer pour les nombreuses baies du premier registre des baies, dans la nef, le chœur et le transept, des vitres totalement transparentes, sans armature. Le travail de Jean-Dominique Fleury porta exclusivement sur le registre du haut, d’un espace plus restreint : les quatre petits oculi du clocher à la croisée du transept, mais aussi, dans le registre du bas, la grande rosace du transept qui donne au nord. Les verres de ces oculi sont entièrement peints au pinceau et conservent les traces des mouvements de la main. Ils sont raturés d’un geste qui confirme des formes circulaires. Les couleurs sont douces, répétant d’une fenêtre à l’autre le rose, le vert et l’orangé très adoucis. Les quatre fenêtres sont opaques, créant une lumière plus tamisée dans cette haute coupole, en opposition avec la grande lumière de l’espace inférieur. La rosace du transept est un lien entre ces oculi et les vitres de la nef et du chœur. Elle reprend le principe de vitre transparent, mais dans un verre un peu trouble. Et, respectant le parti du bas, la transparence est la règle. Mais Jean-Dominique Fleury y a mis un intense dessin de plombs, des jeux de cercles prolongeant sur le verre les formes gothiques, à la fois des lobes de cette rosace et de celles des quatre oculi du clocheton. Autre détail qui rattache cette rosace à ce travail : des petits morceaux de verres, invisibles à l’œil inattentif, sont peints de gris.

En 1978 Jean-Dominique Fleury installe des vitraux, peints sur toute leur surface, dans toute la nef et le transept de l’église de Lacour-de-Visa. C’est une église romane dont l’architecture d’origine, au plan très régulier, est restée sans changement jusqu’à aujourd’hui. Le dessin des huit vitraux, tous de forme semblable dans des fenêtres régulièrement espacées, rappelle comme un plan millimétré l’architecture au sol du lieu. L’accord avec la belle clarté du lieu et sa pierre blanche va jusqu’aux tonalités des vitraux, peu éclatants, marqués tous d’une grande bordure presque blanche, laissant passer beaucoup de lumière. Ce sont des vitraux clairs qui accompagnent la lumière du lieu.

2- Le vitrail de chevalet

Faute de four aux dimensions suffisantes, l’atelier de Bruniquel ne permettait pas des opérations de cuisson sur des grandes pièces. Mais Jean-Dominique Fleury y avait quand même une production de cuisson, ces panneaux de petites dimensions (souvent 60 cm x 60 cm) qui entraient dans des fours plus petits. Cette production non destinée à l’architecture ouvre sur une autre esthétique que celle issue des seuls découpe et sertissage.

Deux œuvres exposées en 1979 à l’Abbaye de Beaulieu à Ginals et entrées dans ses collections ressortent de cette technique. Pour la première intitulée simplement « Peinture sur verre » le plomb n’assure que le rôle fonctionnel de maintenir les huit parties orthogonales qui, assemblées, constituent l’œuvre (fig.6). Les verres ont été enduits à froid d’un oxyde de fer assez grossièrement étalé , puis cuits. La cuisson a donné une grisaille, noire ou brune, que Jean-Dominique Fleury a grattée par endroit jusqu’à y faire réapparaître le verre antique ; ou simplement raclé. Dans une seconde opération un badigeonnage noir, largement posé, a recouvert une grande partie de la figure, dissimulant partiellement le premier grattage, et la pièce a été cuite une seconde fois. C’est tout ce processus qui sera mis en œuvre dans les vitraux d’architecture produits à partir de 1979-80 dans son atelier de Toulouse. Il dit que c’est en faisant ces petits panneaux que son écriture sur verre s’est développée. Comment se fait le passage entre eux et le vitrail d’architecture ? Répétons ce qu’il a dit : « A un moment je n’ai pas dissocié les deux, peinture et vitraux. Les vitraux sont le reflet de ma peinture. »

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Figure 6Abbaye de Beaulieu Ginals Peinture sur verre

III- L’ATELIER DE TOULOUSE

Recensons les éléments visuels dont est fait ce nouvel art.

1- La grisaille, le jaune d’argent et autres pigments

Jean-Dominique Fleury couvre le verre antique d’une couleur obtenue par la cuisson d’un oxyde ou d’un sel métallique. L’oxyde de fer donne des couleurs noires ou brunes, appelées grisailles. Les commentateurs de son art la désignent comme son marqueur de créateur. Régis Gal (5) et Véronique David (6) écrivent qu’il s’est approprié cette technique comme Hantaï le pliage, Pollock le dripping et César son « empreinte ». Les panneaux de chevalet, dont ceux de Beaulieu ou celui de l’exposition de 1980 aux Musée des Arts Décoratifs (7), donnent un fondement à cette assertion (fig.6). Mais, sur la base de cette étude locale, elle doit être nuancée et précisée. L’emploi de la grisaille est fréquent mais différencié et cette différenciation correspond à des différences d’intentions dans la création : ou la grisaille assure le dessin d’un motif comme une grille, ou sur le verre antique elle est une couverte destinée à l’obscurcir. Le jaune d’argent, obtenu par cuisson du sel d’argent, lui apporte parfois un soutien presqu’égal.

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Figure 7Eglise paroissiale Caylus Sud

A Caylus (1980) la grisaille constitue l’unique matière de la grille (fig.7). Mais à Bressols, elle dessine et obscurcit à la fois (fig.8).

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Figure 8Eglise paroissiale Bressols Nef

Mais aux Cabannes (1980), première œuvre de ce nouvel art, les grilles sont composées à égalité de grisaille, de jaune d’argent et de rouge ocré. A Saint-Michel de Gaillac, la grille est encore le motif mais c’est dans un pigment vert/jaune qu’elle est dessinée et la grisaille y est présente comme une troisième couleur qui se glisse dans cette trame et l’obscurcit (fig.9). Par contre elle est absente à Moissac et dans la petite rosace de Saint-Eugène à Vieux. A Saux elle est présente mais de façon modérée. Ou bien Jean-Dominique Fleury s’en sert encore, et systématiquement, pour dessiner les grilles, ou sur le verre antique il en fait un badigeon souvent léger, rarement épais. Et en ce lieu elle rencontre d’autres couleurs chaudes et douces, ainsi que des lumières laiteuses qui donnent leur tonalité à cet ensemble de neufs vitraux. La grisaille est une donnée importante de l’art de Jean-Dominique Fleury, mais elle n’est pas exclusive. Ce qui est important c’est le traitement qu’elle reçoit – comme tout autre pigment de surface – fait de raturage, de grattage, de brossage….

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Figure 9Abbatiale Saint-Michel Gaillac Narthex

2-La bordure

Jean-Dominique Fleury met des bordures à ses vitraux. Dans la période antérieure de l’atelier de Bruniquel elles sont absentes, si ce n’est des formes symboliques à peine amorcées à Beaumont-de-Lomagne et Touffailles, avec deux lignes de plomb inachevées, où la fonction de limite est incertaine. Dès le début de ses nouveaux vitraux d’architecture il place ces bordures. Cette pratique traduit parfois le souci de continuer un état ancien dans l’église où il intervient. Aux Cabannes (1980), le bord du vitrail fin XIXème de saint Antoine se retrouve dans les vitraux neufs avec le même rôle d’encadrement, mais avec une autre couleur, le bleu au lieu du rouge et du blanc et un étroit filet nettement tracé. Dans l’église de Bressols (1983) est monté un vitrail neuf dans un rigoureux alignement de quatre fenêtres dont trois ont conservé leurs vieux vitraux. Tout moderne que soit ce nouveau vitrail non-figuratif, il reprend la structure de ses voisines, avec sa bordure et le mince filet jaune qui lui fait un cadre (fig.8). A Saint-Michel de Gaillac (1984) c’est une bande rose nettement délimitée. A Bruniquel (1984) où la représentation des thèmes – Résurrection , Pentecôte et Assomption – suppose le mouvement et où on s’attendrait à ce qu’il y ait moins de contention, cette limite existe encore (fig.10).

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Figure 10Eglise paroissiale Bruniquel L’Assomption

Mais la bordure connaîtra une évolution. A partir de 1983-84 souvent elle ne présente plus la même rigueur. Son tracé est plus lâche et peut être couvert d’une grisaille qui lui donne un aspect proche du motif central. La fonction d’encadrement s’en trouve atténuée. A Saux (1984-1985) la bordure est maintenue mais la matière dont elle est faite prolonge celle du cœur et le bord n’a pas la rigueur  qu’il avait à Bressols ou aux Cabannes (fig.9).

3- La grille / la trame

La main dessine des grilles ou trames. C’est un thème totalisant puisqu’il occupe toute la fenêtre et c’est aussi une manifestation de l’immobilité. Toutes les fenêtres de l’église des Cabannes (1980) sont sur ce thème, diversement décliné (8). Au sud elles présentent de larges losanges (fig.11). Au nord leur réseau est au contraire serré et filtre la lumière. L’une d’elle redouble le jeu de grillage à l’avers et au revers : ce que Geneviève Bréerette décrit comme « une réflexion sur la transparence et le dessus-dessous » (9).

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Figure 11Eglise des Corrompis Les Cabannes Nef

Dans l’église de Caylus, très proche des Cabannes en style et en date, l’unique vitrail de Jean-Dominique Fleury est entièrement recouvert de petits carrés égaux qui lui donnent une surface homogène (fig.7). Ces carrés sont noirs et gris, couleurs qui établissent un ferme dessin de fond. A Saint-Michel de Gaillac, ce sont des losanges verts-jaunes (fig.9). A Bressols (1983) le tramage gris constitue le thème unique et central et, autour, la bordure rose/rouge laisse apparaître un autre réseau tramé d’un filet aux mailles plus larges mais tout aussi régulières (fig.8). En 1984 l’église de Saux continue de présenter, sous divers aspects, ces grilles régulières. Mais leur filet est plus fin et plus adouci dans leurs couleurs dont même l’opacité laisse aux parties laissées libres de belles possibilités de clarté. Questionné dans une conversation libre sur cette récurrence de la grille Jean-Dominique Fleury dit seulement : « Je suis obnubilé par ça ».

4- Etaler : brossage, badigeonnage

Le brossage est une opération effectuée par un pinceau-brosse, telle que dans le petit panneau exposé en 1979 à Beaulieu où un large passage d’une seconde grisaille vient se superposer à une première grisaille de fond. Une fine couche de grisaille est brossée sur le verre antique de la Résurrection à Bruniquel (fig.12).

Le badigeonnage est une opération très pratiquée à Saux où le verre antique reçoit une couverte souvent légère, avec des traces conservées de pinceaux qui l’opacifient.

5-Enlever : grattage, raturage, raclage, ressuyage

Cet élément essentiel du graphisme consiste à enlever du pigment de la couverte du vitrail. Ce peut n’être qu’une griffure faite avec une pointe, ou un large raclage. Ce peut être un traitement local ou, au contraire, un travail structurant. C’est aux Cabannes qu’on les trouve pour la première fois, encore discrets. Sur un total de cinq fenêtres et un vaste réseau de grilles, dans un haut compartiment on tombe par surprise sur une dizaine de croix nerveusement faites de ratures. Mais, pour l’unique vitrail de la chapelle du Saint-Sacrement à l’abbatiale de Moissac il semble que le lumineux jaune d’argent où réside tout son esprit ait été posé pour être raturé sans ordre et dans tous les sens (fig.12). A Bressols le rôle de ces traits est différent : ils viennent en appui du principal et plus large tracé du motif, une grisaille composant la totalité de la fenêtre (fig.8). De même à Saux pour le dessin de deux grands rectangles noirs ; mais ici encore c’est par un retrait plus large que le simple grattage que Jean-Dominique Fleury entoure, souligne et finalement donne leur forme à trois à-plats au plein milieu du vitrail de l’abside (fig.14).

Le ressuyage est un geste extrême proche de la destruction. Il a trouvé sa formulation dans les vitraux de Bruniquel (1984) dont la surface reçoit de larges coups de chiffon, comme on nettoie un coin de vitre embuée pour pouvoir voir à travers (fig.11). Une fois le pigment posé et la composition assurée dans ses grandes masses, c’est comme si l’auteur entreprenait de façon décidée son effacement.

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Figure 12Eglise paroissiale Bruniquel La Pentecôte

6-Non-fini, irrégulier, souillé

Sur tous les vitraux il y a la volonté de leur donner un aspect d’inachèvement. A Bressols le trait noir chargé de matérialiser une grille perd progressivement de sa charge de pigment pour finir dans un gris délavé. Le dessin n’en est pas droit et son approximation se manifeste dans quelques reprises du trait. Aux Cabannes, le placement de quelques mailles pleines au milieu des mailles vides des grilles n’obéit à aucun souci d’équilibre (fig.8). Cet aspect d’ébauche ou d’approximation se trouve aussi sur toute la bordure du vitrail de Moissac où se superposent sans régularité des couches de différents pigments (fig. 12). A Bruniquel le ressuyage se termine par une accumulation de matière laissée telle quelle et les couleurs des verres, notamment le rouge de la Pentecôte, sont très impures.

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Figure 13Abbatiale de Moissac Chapelle Saint Sacrement

7-L’exception de Bruniquel et de Moissac

Même si à Bruniquel et à Moissac Jean-Dominique Fleury utilise toutes ces techniques de travail -griffure, raclure, non-fini- leurs vitraux sont une nouveauté par rapport à ce qu’il a fait jusqu’alors. A Caylus, aux Cabannes, à Bressols la seule grille fait une image totale. Elle est une figure homogène, immobile, contenue par des bordures. Dans les trois vitraux de Bruniquel les figures n’ont pas cette immobilité. Même non-figuratifs ils racontent un événement dans un mouvement qui anime et organise l’espace. De là une composition avec un sens dans l’image : l’oblique pour la Pentecôte, la verticale pour l’Assomption et la Résurrection. Ce sont des vitraux colorés à égalité par les couleurs du verre antique et la grisaille. Les couleurs sont éloquentes contribuent à la narration, ce langage venant à la fois de la tradition iconographique catholique et du concret : le rouge définit les langues de feu de la Pentecôte ; le bleu le manteau de la Vierge ; le rouge et l’orangé sont l’intense lumière du corps ressuscité. Moissac est une autre exception au parti des vitraux à grilles. Sa particularité est l’extrême intensité de la lumière traduite dans deux larges plages de verres versant leur or dans la très sombre chapelle consacrée à la méditation du Saint-Sacrement. Ces deux plages de lumière sont celles des Tables de la Loi dessinées de façon quasi subliminale dans leur jaune d’argent (fig.12).

8- L’esprit du lieu

Les vitraux de Jean-Dominique Fleury sont une œuvre associée à un lieu. Ecoutons ce qu’il dit quand il en parle à Jeannine Baron (10) : « Je songe à la fresque, à la trace, au dérisoire, au fugitif. Je suis fasciné par le signe inscrit…J’ai choisi le vitrail pour son rapport à l’espace…L’église est une architecture et une ambiance forte…Je ne suis pas croyant mais une certaine forme de mysticisme m’impose un pacte involontaire avec l’édifice ».

Le visiteur ne reconnaîtra pas toujours les signes que le verrier y a vus. Discrets, ils échapperont à un œil pressé mais c’est pourtant eux qui ont inspiré une part de son travail. Là il s’agit de détails concrets présents dans l’édifice, mais souvent, ce sera toute l’architecture qui sera l’inspiratrice. Ce fut déjà le cas, dans les réalisations d’avant la grisaille, à Beaumont-de-Lomagne et à Touffailles et ce que l’on trouve après ne fait que continuer cet esprit. La chapelle du Saint-Sacrement à Moissac abrite une piéta du XVème siècle qu’il reprend comme une ombre dans le vitrail des Tables de la Loi placé juste à côté (fig.12). A Saux, chacun des huit vitraux rappelle une trace trouvée sur les vieux murs . Celui de l’abside reprend en bleu une forme peu lisible restant de la fresque ocre très abimée de l’une des chapelles (fig.13 et 14). La superposition des deux carrés noirs du mur sud est une interprétation du litre (marque de deuil peinte sur le mur au XVIIème siècle) encore partiellement en place. Une grille reprend à l’exact le carrelage d’une scène gothique de la fresque. Chaque griffure d’un vitrail a son équivalent sur le vieux plâtre et le vitrail près du clocher contient le dessin d’une corde.

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Figure 14Eglise de Saux, Montpezat-de-Quercy, Abside

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Figure 15Eglise de Saux, Montpezat-de-Quercy, Fresque

Lacour-de-Visa (82) est une église romane dont l’architecture d’origine, au plan très régulier, est restée sans changement jusqu’à aujourd’hui. Le dessin des huit vitraux, tous de forme semblable dans des fenêtres régulièrement espacées, reprend comme un plan millimétré l’architecture au sol du lieu avec nef et abside, sans transept toutefois, mais avec, pour certains verres, une symbolisation des chapelles. L’accord avec la belle clarté intérieure et sa pierre blanche va jusqu’aux tonalités des vitraux, peu éclatants, marqués tous d’une grande bordure presque blanche, laissant passer beaucoup de lumière. Ce sont des vitraux clairs qui accompagnent la lumière du lieu.

IV- QUE FAUT-IL VOIR DANS CES VITRAUX

1- Hors de l’art, des équivalents aux vitraux

Jean-Dominique Fleury parle ou écrit sur des équivalents qui n’appartiennent pas au domaine de l’art, qui l’émeuvent. Des notes, des brouillons griffonnés, parfois raturés, déposés avec ses archives au Service du Patrimoine de la Région Occitanie, citent de telles sensations très précises (11). Ce sont des « choses vues »  organiquement proches du vitrail et de ses possibilités de lumière : « J’ai vu des signes au pinceau-pouce sur toutes les vitres d’un immeuble en chantier, superbe calligraphie au blanc d’Espagne ». Il s’agit de vitres, mais ce qui est vu ce sont les signes ou la calligraphie qu’elles portent. Ailleurs : « les noires verrières d’une vieille gare ». A ce lieu prosaïque et public il attribue une couleur, le noir, et un état, la vieillesse. Ailleurs : « les blanches serres de mon copain Tito ». La suggestion vient encore d’un emploi utilitaire du verre, à quoi il rattache l’autre couleur, contraire mais toujours associée au noir, le blanc. Il parle aussi de feux tricolores (12). Ailleurs encore : « Pour une nuit de néon ». Ici ce qui est important c’est la nuit. Pour Jean-Dominique Fleury le sombre, avec ses équivalents – la nuit, le noir – est l’état premier de la vision. Son devenir c’est d’être percé par la lumière, dont le néon est une possibilité. Cette idée, qui est la pierre angulaire de sa deuxième période de création, on la saisit dans des mots qu’il donne brièvement et sans explication à celui qui le questionne : « La lumière existe à cause de la nuit », ou « J’ai une approche d’enlevage. (13)»

Mais à ces choses vues se mêle ce qui relève aussi de la culture. Il écrit que son œil a brillé parce qu’un jour il a regardé dans la cathédrale de Chartres un vitrail illustrant l’Arbre de Jessé, et, en d’autres circonstances, parce que ses yeux se sont levés vers une « vitrerie cistercienne » (14). Parfois le verre n’y est plus et ne reste que le plomb : « Je suis ému lorsque je regarde des vitraux déchirés où ne subsistent que les trames et les trous ». Les grilles, et la lumière qui ouvre l’obscurité : deux clés de la création de Jean-Dominique Fleury. Les lumières dans la rue ne sont pas intrinsèquement de l’art. S’il n’y a pas d’art en elles mais si elles font naître une émotion, c’est que leur message en puissance a trouvé une résonnance dans l’inconscient.

2- La lumière : une interprétation de son art

La lumière : c’est par ce mot que, dans un article bref et pertinent, Jeannine Baron désigne l’œuvre de Jean-Dominique Fleury. Elle retient d’abord les procédés techniques qui font la texture de ses vitraux : le gratté, le raturé, le transpercé, pour interpréter ensuite son travail comme une quête spirituelle dont la manifestation est la lumière. Il confirme cette interprétation : « Mon rapport à la lumière s’affirme. » (15)

3- Le taoïsme , une autre interprétation

Selon Ellen Mandelbaum « il aimerait laisser une touche de poésie dans une solide construction pour rétablir la balance du chaud et du froid, du yin et du yang. C’est un artiste français exceptionnel qui use de la grisaille pour de larges espaces architecturaux. Les fenêtres sont gribouillées et peintes avec un sens d’une force vitale, inspirée par le taoïsme chinois et, peut-être, par l’expressionisme abstrait » (16). Elle aussi retient ce dont, du point de vue visuel, les vitraux de Jean-Dominique Fleury sont principalement faits : la grisaille et, selon un mot à elle, le gribouillage. C’est pour chercher une interprétation spirituelle à cette œuvre. Elle est plus précise que Jeannine Baron en évoquant le taoïsme. Mais elle ajoute une autre piste qui n’est pas du domaine spirituel ou philosophique, mais de l’affectation à un courant de l’histoire de l’art : l’expressionisme abstrait. On pourra effectivement parfois penser à des manières de peindre de Robert Motherwell, par exemple. On peut trouver aussi en de rares endroits d’autres souvenirs, comme d’Antoni Tapiès. Mais ceci ne fait pas de Jean-Dominique Fleury un artiste dans leur mouvance.

4- D’autres mots pour accompagner les vitraux

Ailleurs encore, alors qu’il rédige un texte qui doit accompagner en 1980 une exposition à Nice à la galerie Rignault intitulée « Usure du ciel », il parle d’une fenêtre, et il faut comprendre qu’il s’agit d’une banale fenêtre, matière à expérience quotidienne, dont le pouvoir est de faire « apparaître » (17). Que révèle-t-elle  ? Ce n’est pas dit explicitement, mais des mots nous mettent sur la voie : « le ciel » et « l’usure ». Le ciel est ce sur quoi ouvrent vitres et vitraux, dont vitres et vitraux disent l’usure. A la vision du ciel Jean-Dominique Fleury associe toujours ce qui est plus qu’un moyen graphique, peut-être l’essence même de son œuvre : les grilles et les couleurs (dont la grisaille, mais pas elle seule) que l’on ouvre, que l’on gratte. Le mot qu’il emploie est « raclure » : « raclure contre le ciel » (18). Le ciel, l’usure, la grisaille, la grille, les griffures sont un état du monde. Dans les vitraux des Cabannes Angélique Pinet reconnaît cette idée : « Les lignes de grisaille recouvrent le verre et semblent déjà s’user percées par les traits de lumière » Plus loin : « … La trame parfois s’efface comme si elle fanait sous la lumière » (19). Une question se pose : dans le monde mental de Jean-Dominique Fleury il y a t-il l’idée d’un monde usé, à son origine, dans son essence ? Ou est-ce le temps qui use le monde ? Il fait ailleurs une autre association qui est peut-être une réponse à cette question. De cette idée de l’usure du ciel il passe au vide, un vide qui est essence. Et le taoïsme revient. C’est le vide qui constitue les choses. Citant Lao Tseu (20) : « Ce qui n’est pas matière…renferme l’essence. » Plus loin, sur la même page, au mot « vide » Jean-Dominique donne comme synonyme le « non-être ». Et plus loin : « De la page d’écriture j’ai aimé la marge » (21). Aussi suggère-t-on de voir – et on n’ira pas plus loin – dans ces vitraux et ces gestes cette idée dans ses deux éléments : la recherche d’une essence – le monde/le ciel, qui est positivement un vide – et/ou le temps qui détruit.

5- Encore la lumière

Pour revenir à la lumière, elle est sans cesse invoquée par les auteurs pour rendre compte d’un vitrail. Mais il faut savoir de quelle lumière on parle, entre éclairage d’un lieu et lumière divine. Mme Baron pense à la lumière qui est du domaine spirituel. Les références à Lao Tseu et ce que dit Jean-Dominique Fleury confirment cette analyse. Mais comment rendre compte par des moyens concrets (des pigments et du verre) de ce qui appartient à l’immatériel ? Il l’a d’abord représenté par des couleurs franches, parce qu’elles sont des symboles et parce que concrètement elles suggèrent fortement : le jaune solaire à Lauzerte-Paroisse, le rouge extrême à Montricoux. Mais, à partir de 1979-80, sauf à Bruniquel et Moissac, avec le système des grilles il se sert moins des couleurs, du moins dans leur éclat. Dès lors c’est la fermeture par la grille qui donne leur économie à ses vitraux, où la lumière n’apparaît que par les gestes que l’artiste accomplit pour la faire advenir. Mais ensemble, la grille et parfois la grisaille, et parfois le jaune d’argent, demeurent, et dans le chiffre de la lumière, elles et leur enlèvement dans des gestes primaires sont organiquement unis.

(1) Articles et dossiers généraux sur Jean-Dominique Fleury :

Véronique David , « Fleury, le peintre, le verrier et les artistes. Création monumentale de 1980 à 2010 », in Le vitrail monumental Créations de 1980 à 2010, dossier de la commission royale des monuments, sites et fouilles, N° 14, Colloque international, Liège, le Vertbois, 24-25 novembre 2011, pages 133 à 138

Jean-Pierre Blin, « Rencontre avec Jean-Dominique Fleury , peintre verrier, Domaine de Pécondal, Bruniquel, 7 mars 2016 » in Le Point Riche n° 14, juin 2016, pages 33 à 39

Angélique Pinet, « L’atelier du vitrail de Jean-Dominqiue Fleury entre restauration, création et réalisation » in Midi-Pyrénées Patrimoine, n°1, janvier 2005, pages 74 à 79

« Jean-Dominique Fleury, peintre-verrier », catalogue réalisé avec le concours du Ministère de la culture dans le cadre de l’aide à la première exposition, sans date (1985)

(2) Archives de Jean-Dominique Fleury, carton « Expositions », non numéroté. Région Occitanie, Direction de la Culture et du Patrimoine , Lettre manuscrite du 28 septembre 1979

(3) Archives de Jean-Dominique Fleury… Dactylographie intitulée « Hyalos, Association loi 1901, Regroupant… »

(4) « Empreintes d’un territoire » exposition au Centre d’Art Contemporain , Abbaye de Beaulieu-en-Rouergue, Ginals Tarn-et-Garonne, été 1979, sans pagination , catalogue N° 24 à 26

(5) Régis Gal, « Jean-Dominique Fleury, Trames et grisailles », in La revue de la céramique et du verre, n° 43, 1988, pages 48 à 53, page 53

(6) Véronique David , « Fleury, le peintre, le verrier et les artistes… » page 136.

(7) Les Métiers de l’Art, catalogue de l’exposition tenue au Musée des Arts Décoratifs à Paris en 1980, page 274

(8) Daniel Laonet, « Dans l’église des Cabannes » : les vitraux de Jean-Dominique Fleury, in Le Tarn Libre, 1er janvier 1999, pagination inconnue.

(9) Geneviève Bréerette, « Un territoire, des artistes », Le Monde, 18 juillet 1979, pagination inconnue

(10) J.B. (Jeannine Baron), «Jean-Dominique Fleury. Une façon claire de ne pas tricher » in La Croix, numéro spécial des 25 et 26 décembre 1984, n° 30966, page 8

(11) Archives de Jean-Dominique Fleury… Brouillon « à Françoise Perrot pour le bouquin pour le texte d’accompagnement de… »

(12) Régis Gal, « Jean-Dominique Fleury, Trames et grisailles », page 50

(13) Régis Gal, « Jean-Dominique Fleury, Trames et grisailles », page 50 

(14) Archives de Jean-Dominique Fleury… Brouillon « à Françoise Perrot pour le bouquin pour le texte d’accompagnement de… »

(15) Jeannine Baron), «Jean-Dominique Fleury. Une façon claire de ne pas tricher », page 8

(16) Ellen Mandelbaum, « New Glass: The Painterly Alternative » in AusgGlass Magazine, 12-1997, pagination inconnue

(17) Archives de Jean-Dominique Fleury…deux feuilles manuscrites, sans référence, daté 1980

(18) Archives de Jean-Dominique Fleury…page dactylographiée, sans référence, datée 20 janvier 1980

(19) Angélique Pinet, « L’atelier du vitrail de Jean-Dominqiue Fleury… » page 77

(20) Archives de Jean-Dominique Fleury…Page manuscrite, sans référence

(21) Archives de Jean-Dominique Fleury… Page manuscrite, sans référence

2018

Daniel Laonet

Historien de l’art

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